Je suis europhile. Et je suis bien emmerdé: l'Europe qu'on m'a servie n'est pas du tout celle que j'avais commandée. Que faire?
Casse-tête apparemment insoluble: QUELLE Europe? Oui, je sais, on bêle un peu partout "l'Europe sociale", mais on oublie un peu vite que pour faire du social, il faut avoir quelque chose à donner. Et ce "quelque chose", en occurence l'argent puisqu'il ne semble rien y avoir d'autre (lourde erreur, mais partagée par la majorité semble-t-il) est littéralement insaisissable. A la moindre brise, il file s'abriter dans des coins isolés et insolites du monde.
Et puis, une Europe fédérale, Confédérale, une "Europe des Patries" comme le préconisait Charles De Gaulle (concept flou, certes, mais la moins mauvaise des solutions à mon avis)?. Non: une Europe, quelle que soit sa forme première, de l'Atlantique à l'Oural. Et j'ajouterai: au-delà: de Brest à Valdivostock. J'estime que c'est la seule voie raisonnable de sortie pour les peuples d'Europe. Et j'insiste lourdement. POUR LES PEUPLES, et pas pour les oligarchies.
Soyons réalistes: une telle solution effraie.
deD'abord parce qu'elle suppose une réorientation massive de nos économies, ouais, enfin ce que le media appellent "économie", savoureux détourement de langage lorsqu'il s'applique à des dépenses devenues folles. Celles-ci, depuis 1945, sont toutes orientées vers un partenariat avec le monde Anglo-Saxon. Le monde Anglo-Saxon, c'est le Rimland de Mackinder, le "monde périphérique", le monde océanique planétaire, dont la caractéristique principale est sa quête perpétuelle de l'Eldorado, déplaçant ses gros bataillons au gré des opportunités.
Historiquement, cela se comprend: l'Europe de l'Ouest jusque dans les années 90 est affrontée au "Bloc de l'Est" dont elle craint une invasion. La protection US lui semble indispensable. Mais la donne est faussée: depuis 1945, l'économie US est devenue hégémonique pour la première fois de son Histoire. Un brin d'euphorie outre-Atlantique se comprend; mais il va devenir au fil des ans Hubris, le plus grave des dangers menaçant une société. "L'American Way of Life", d'inspiration Calviniste va céder devant le concept de "deuxième Rome" attisé par la Guerre Froide et finir dans un hédonsime et un individualisme débridés (tout comme dans Rome I). Et volens nolens l'Europe de l'Ouest est forcée de suivre, érigeant un système de relations économiques contre l'URSS.
Le monde se renverse en 1990 avec l'implosion du système soviétique. Logiquement, "l'ouverture" des pays de l'ex-URSS et affidés dévoile un nouveau champ de relations pacifiques, apaisées, possibles. Ce dont Washington ne veut à aucun prix car cala signifie à terme la perte de l'hégémonie qu'elle exerce de facto sur les deux tiers de la planète. Hégémonie qu'elle espère transformer en de jure depuis le Kennedy Round au travers d'accords commerciaux bâtis selon les principes Anglo-Saxons de la sanctité du contrat et de son primat sur les lois locales.
Entretemps, en contrepoids du Comecon, et à la poursuite d'un rêve séculaire depuis le Congrès de Vienne, les européens de l'Ouest ont bâti une Union économique. Ils s'y sont résolus devant la quasi-impossibilité de surmonter les souvenirs de la 2ème Guerre Mondiale et des haines indélébiles qu'elle a laissées, et donc devant l'impossibilité de faire une Europe politique. L'échec de la CED eb 1951 en témoigne.
Cette demi-Europe, fermement ancrée dans le camp Anglo-Saxon, connaît quelques succès initiaux, notamment l'intégration de l'Espagne et du Portugal. Mais son ancrage économique la place en position de "protégé" de l'économie US. Laquelle va rapidement, suite au Plan Marshall, "vérolée" par les Eurodollars ("Dollars "produits en Europe avec les bénéfices, mais non rapatriés aux USA où ils gonfleraient la masse monétaire au-delà du tolérable) suivis quelques années plus tard par le Pétrodollars. Ce qui amènera le Trésor US à des accrobaties sans nom dès les années Reagan, puis à la quasi-implosion du" système occidental" en 2007-2008.
Les dirigeants européens connaissent depuis belle lurette la solution pour l'Europe à ce naufrage annoncé: une alliance avec la Russie. Parce que tout simplement, l'Eurussie (tiens, néologisme?) présente tous les aspects d'une économie complémentaire intégrée: richesses minérales et forestières à l'Est, richesses industrielles et agricoles à l'Ouest. Un seul handicap, aisément soluble: les transports; techniquement la solution existe, elle est simple et peu onéreuse à terme.
Reste un obstacle de taille: le politique.
La Russie fascine en même temps qu'elle effraie. De plus l'Histoire récente dresse tous les Européens les uns contre les autres, et en particulier quasiment tous les Etats-Nations contre la Russie, "mère" de l'ex-URSS.
Et nous en revenons comme toujours à la 2ème Guerre Mondiale et aux horreurs qu'elle a engendrées. Mais plaçons nous quelques instants dans la peau d'un citoyen Russe.
Il vit dans le plus vaste pays du Monde: 11 fuseaux horaires, faut le faire! Déjà en France (1000 kms maximum) les gouvernements ont des difficultés, imaginez ce que ça doit être à Moscou......
Il vit dans un pays qui n'a guère de "frontières naturelles". La Russie d'Europe est une plaine où les seuls "obstacles" sont les fleuves et les forêts (il y a bien le Maris du Pripet, 100 km de diamètre, une paille!). Un pays qui a été régulièrement envahi, depuis l'Est (Mongols) et surtout l'Ouest (Polonais, Français, Allemands) et pillé.
Un pays qui n'a jamais été "ethniquement homogène", et où les révoltes de tous types ne se comptent plus.
Un pays qui émerge à peine (fin XIXe siècle) du servage.
NOTA BENE: la parenthèse soviétique s'inscrit dans le droit-fil du pire tsarisme, avec une simple substitution de la famille Romanov par un Parti. Il n'y a pas "rupture", mais continuité sous un masque différent.
Qu'on adhère à une vision "autoritaire" du Gouvernement, ainsi que le font 80% des Russes (70% "seulement" pour Poutine) ne me sempble pas étonnant: ils ne voient pas d'autre solution. Je reviendrai là-dessus un peu plus loin.
Un pays, enfin, qui a supporté DEUX occupations Allemandes (la première 1918-19) et une Guerre cataclysmique, dont nous à l'Ouest n'avons qu'une très faible idée. Tiens, un point (minuscule, excusez le mot): en Biélorussie, il y a eu près de 11000 Oradour-sur-Glane! Un peu moins de 1000 jours soit 11 par jour. Inimaginable!
Un pays, enfin, qui a constamment été attaqué en raison de sa structure "politique".
Anecdote personnelle: au cours de brefs séjours à Moscou, j'ai lié connaissance avec des Officiers de la Divisdion "Taman" (chargée de la Garde du Kremlin). Ils aimaient bien le "malo Frantsouski" et parlaient librement. Je faillis m'étouffer dans ma vodka lorsqu'ils me dirent benoîtement que cinquante ans durant, l'Armée Soviétique avait craint une nouvelle invasion allemande, cette fois appuyée par l'industrie US! Et ils étaient sérieux! La Stavka surveillait comme le lait sur le feu la fameuse "trouée de Fulda" par où les hordes occidentales déferleraient! La même trouée de Fulda où NOUS attendions la ruée de l'Armée Rouge! Comme cons, des deux côtés, on fera difficilement mieux.....
Donc, à priori, la Russie se méfie hautement de l'Europe de l'Ouest vu son passé récent et n'est pas très favorable à une "alliance resserrée", et CONTRE une adhésion à l'UE.
D'autant qu'elle essaie de s'appuyer sur les pays voisins pour retrouver un semblant de cohérence, pays souvent à la limite de la dictature, et qu'elle doit digérer deux "expériences" très récentes, post 1990.
La première fut l'essai de "démocratie" sous Eltsine. Le Russe moyen attendait une "démocratie à l'Européenne", copiant plus ou moins le Marché Commun des années 80, et une transition "douce" vers des institutions moins dictatoriales. Ils eurent droit au chaos poltique et économique, à une ruée de "conseillers-mercenaires" plus enclins à faire vite-vite des bénéfices. A la mainmise sur les instruments économiques par la Mafiya, d'ex-pontes du KGB et du Parti. Une débâcle sociale et économique qui dura près de 20 ans et dontv la Russie actuelle n'est pas encore remise. NOUS disons NON à l'Europe selon Barroso, ils disent NON à une Russie selon Wall Street.
La deuxième concerne la déstabilisation de nombreux gouvernements de l'ex-URSS par des "mouvements étudiants". Ceux-ci ont été dans leur totalité "aidés" soit par la CIA ou tout autre organisme fédéral US ou par des "Fondations" marquées par l'idéoligie néo-con.
Leurs succès préoccuperaient n'importe quel pays susceptible de devenir la cible de ces "mouvements. Couplez cela avec l'extension pour le moins intempestive de l'OTAN vers l'Est. Qui ne se méfierait?
C'est l'addition de ces deux expériences récentes qui pousse le citoyen Russe à adhérer aux actes pour le moins anti-démocratiques du Gouvernement, aux emprisonnements divers et variés, au harcèlement (sinon plus) des opposants, même si ceux-ci sont de bonne foi. Mais aussi l'étalement de la "bien pensance unique" dans l'UE, bien pensance dont ils redoutent qu'elle leur soit imposée et qui finirait par déliter définitivement leur société. N'oublions jamais que la "forme de base" de la société Russe n'est pas la famille en soi, mais le "Mir", communauté villagoise dont la soldiartié est le principe premier.
Il existe donc des obstacles sérieux et difficiles à surmonter si l'on désire que se concrétise l'Eurussie, plache de salut pour moi évidente pour les peuples (et je répète: les PEUPLES) d'Europe.
L'on a demandé à Sir Edmund Hillary, vainqueur de l'Everest: "Pourquoi avez vous gravi cette montagne" il a répondi "Parce qu'elle était là"
C'est une bonne raison, vous ne trouvez pas?