Fin Mai 1939, le Kremlin. Joseph Staline et Wiacheslaw Molotov ont de gros problèmes: où qu'ils tournent leurs regards, l'URSS est en danger.
A ce stade, Adolf Hitler représente-t-il un danger IMMEDIAT? Non. Quoi que...
En Mars de cette année 1939, les Allemands ont envahi ce qui restait de Tchécoslovaquie, créé un Etat Slovaque et érigé le reste en "Protectorat de Bohême".
Le 1er avril toujours de cette même année, Francisco Franco Bahamonde a proclamé la fin de la Guerre Civile en Espagne.
Si on exclut le territoire soviétique, l'Allemagne domine plus de la moitié de l'Europe, et s'offre même le luxe de la couper en deux. Elle a absorbé l'autriche en 1938 et possède désormais comme alliés ou clients: l'Italie, la Hongrie, l'Espagne, la Roumanie, la Bulgarie, la Finlande et la Grèce du fasciste Metaxas. Elle peut aussi compter sur l'appui des Oustachi Croates, et sur la neutralité bienveillante de la Turquie, son ancienne alliée.
Alors, répéter le scénario de 1914? Menacer l'Allemagne d'une guerre sur deux fronts en cas d'agression?
Moscou n'a pas oublié ce qu'en a coûté à la Russie Impériale son alliance avec la France et la Grand Bretagne: une occupation d'un an de l'Ukraine et de la Biélorussie, et 98 tonnes d'or, le prix du Traité de Brest-Litovsk.
D'autant que l'année précédente, en 1938, Paris et Londres n'ont réussi à convaincre ni Varsovie ni Prague de laisser transiter l'Armée Rouge sur leur territoire en cas de conflit avec l'Allemagne au sujet des Sudètes. Ce qui a amené les deux alliés à se coucher lamentablement le 30 Septembre 1938 en signant les Accords de Munich. Bien renseigné, Staline SAIT que ce sont les Français et les Anglais qui ont FORCE Benes à signer les accords auxquels les tchèques n'avaient même pas été invités.
Il y a bien une "mission" alliée qui vient pour "explorer les modalités d'un accord" similaire à celui de 1914, mais ce sont des sous-fifres, et ils viennent en bateau; pas pressés, les lascars....
Staline sait aussi autre chose: les Généraux Allemands ont recommandé à Hitler "pas de guerre majeure avant 1943, fin 1942 au plus tôt". Bizarrement, ses Généraux lui ont recommandé la même chose "rien avant 1943". Wehrmacht et Armée Rouge ont les mêmes problèmes: manque d'encadrement, manque d'entraînement, manque de matériels adéquats.
La Wehrmacht date de 1935; métamorphoser une Armée de 100 000 hommes en Armée Nationale demande du temps, même si par-ci, par-là on a pu tourner les traités (écoles de vol à voile pour apprentis-pilotes par exemple, N.S.K.K. service de transoprt formant des conducteurs, etc...). Surtout, surtout, l'industrie allemande fonctionne sur le système du temps de paix; elle livre lentement les fournitures comandées. Ce n'est que mi-1943 que Hitler se décidera à mobiliser l'industrie pour la guerre... Etonnant, non? Donc, les militaires ont calculé que la Wehrmacht sera équipée et entraînée de façon satisfaisante seulement début 1943, au rythme de cette année 1939. Anticipons: elle ne sera mécanisée qu'à 10% en 1943, et seulement à 40% en 1944; c'est une Armée largement "type 1914", hippomobile, et infanterie à pied qui combattra durant toute la seconde guerre mondiale. Nous y reviendrons.
L'Armée Rouge, qui date des années 20, est en pleine reconstruction. En 1937, Staline a décapité le Corps des Officiers avec une purge gigantesque. La guerre d'Espagne à laquelle l'URSS a participé activement, a montré les faiblesses du matériel soviétique face au matériel allemand, notamment aérien. D'autres "articles" aussi demandent réflexion: les chars type 26 sont mal conçus, les Allemands ont d'ailleurs utilisé une arme antichar surprise, leur canon antiaérien de 88 qui s'est révélé un "casseur de chars" sans pareil à l'ébahissment général; leur mitrailleuse Maxim avec bouclier et sur roues a été supplantée par la MG 34; et ils manquaient de mortiers.
Bref, il faut reconstruire le Corps des Officiers, repenser l'articulation des différentes armes, et produire des matériels plus performants. D'où le délai demandé par les Généraux à Staline. Notons que ce ne sont pas de vaines promesses: AVANT l'invasion allemande de Juin 1941, l'industrie soviétique aura produit le meilleur char moyen de la guerre, le T-34, et le meilleur avion d'assaut au sol, l'IL-2 Sturmowik, et elle aura produit des masses d'artillerie, y compris les excellents mortiers de 82 et de 120 mm.
Voilà, retournons donc en Mai 1940. Jusqu'ici nous n'avons regardé que la partie occidentale du dilemme stalinien. Il y a une autre face à ses problèmes, bien loin de Moscou, à l'autre bout du Transsibérien. Et là, le danger est très présent. Il vient de Mandchouire: l'Armée Japonaise est en marche.
Le Mandchoukuo est une création nippone dans le conflit qui oppose Tokyo à la Chine. Les armées du Mikado ont pris prétexte de l'incident dit "de Mukden" en 1931 pour lancer l'Armée du Kwantung qui fait partie des forces armées défendant les concessions étrangères en Chine (il y a des US Marines en Chine, des soldats Britanniques, Français et Italiens...). Sous le regard "neutre" de leurs collègues occidentaux, les soldats japonais ont envahi la Mandchourie. Cela les a mis en contact avec leurs camarades japonais établis den Corée depuis l'annexion de 1910.
Il faut faire attention aux symboles: Mukden, c'est là que l'Armée impériale Russe a subi la défaite la plus sanglante lors du conflit russoèjaponais de 1904-1905. Et Staline a de la mémoire. et il sait lire: il y a UN MILLION de soldats nippons en Chine, au Mandchoukuo et en Corée. Et ils viennent de "bouger" vers l'Extrême Orient soviétique.
Le 15 Mai 1939, à partir de la tête de pont de Nomonhan une Armée Japonaise a attaqué les position soviétiques, et forcé les défenseurs à reculer d'une trentaine de km. C'est un péril de première grandeur: ce sont les fils de ces samouraïs qui ont battu les pères desz conscrits soviétiques à plate couture 35 ans plus tôt. Moscou sait bien qu'une alliance informelle existe entre la tendance "Kohadan" de l'Armée Japonaise, qui désire annexer la Sibérie Orientale, et la Société secrète du "Heilong Jiang" chinoise, menée par Wang Chin Wei, pour "l'asiatisation" de ce même Extrême Orient sibérien (Heilong Jiang ou "Dragon noir" est le nom chinois du fleuve Amour).
Staline dépèche d'urgence un Général qu'il n'aime pas trop, mais qui jouit d'une soldie réputation de bon sens à Vladivostock: Georgui Joukov. Rien n'est moins sûr, en l'état des choses, qu'une victoire soviétique rapide. il faut donc songer à une nouvelle guerre russo-japonaise à l'autre bout du Transsibérien. C'est CELA et rien d'autre qui préoccupe Staline en cette mi-mai 1939.
Hitler vient de déclencher la "crise de Dantzig", en toute confiance: les Alliés ont capitulé à Munich alors qu'ils avaient de bonnes chances de l'emporter (même sans les Russes), ils ne vont pas "bouger pour Danzig". Mais il cherche une assurance... et Ribbentrop suggère de clouer le crecueil des velléités à l'Ouest en concluant un Traité avec Moscou.
Et Staline accepte! Et depuis, toutes les bonnes âmes de la création vont le vilipendant pour cette "traîtrise"!!! QUELLE traîtrise? Les démocraties ont laissé crever l'Espagne Républicaine parce que l'URSS s'était engagée à ses côtés. Elles ont obligé les Tchèques à accepter les Accords de Munich. Qui peut donc leur faire confiance face à cet énergumène d'Adlof Hitler?
Et puis, l'URSS n'est pas prête pour une guerre majeure, et même pas pour une guerre mineure: la Guerre d'Hiver en Finlande en 1940 le démontrera amplement. L'URSS a besoin de temps pour continuer la réorganisation de l'Armée Rouge, mais aussi pour voir comment vont tourner les choses dans la région de Khalkin gol, où les troupes soviétiques et japonaises se livrent une lutte acharnée (les Japonais compteront 45 000 tués, soit la moitié des effectifs engagés).
Hitler offre la moitié de la Pologne et "se désintéresse" des Républiques Baltes: un bon "tampon" protecteur contre les velléités belliqueues de l'Allemagne Nazie. Et, effectivement, cet espace à conquérir avant d'entrer en URSS jouera un rôle non négligeable de retradateur lors de l'Opération Barbarossa en Juin 1941.
Staline avait donc toutes les raisons de prêter une oreille attentive aux avances de Hitler, même si c'était passer un pacte avec le Diable.
Et il eut toutes les raisons de se féliciter de sa clairvoyance en 1940: Hitler faisait la guerre à l'Ouest. Il gagna ainsi près de deux ans de répit pour réformer l'Armée Rouge.... mal. Ses "nouveaux Généraux" étaient trop terrifiés par les purges de 37 pour opposer leurs avis techniques aux ukazes des Commissaires nommés par Moscou: il en résulta les désastre de l'été 1941. Mais là encore, les occidentaux imputent trop souvent à Staline ce désastre.
Staline ne pouvait pas croire que la Wehrmacht re-commettrait la folie de 1914: la guerre sur deux fronts. Logiquement, ayant accepté la guerre à l'Ouest, Berlin devait "achever" la Grande Bretagne avant de tourner ses regards vers l'Est. Mais cette fois, ce fut Staline qui commit une faute, qui bougea le mauvais pion.
Hitler n'avait pas bronché lorsque Moscou goba les Républiques Baltes; il ne bougea pas davantage pour la Finlande lorsque l'URSS l'attaqua. Stratégiquement, ces régions n'offraient aucun intérêt pour l'Allemagne. Mais il n'en allait pas de même en Moldavie, que l'on nommait alors la Bessarabie. Pomme de discorde entre la Roumanie et l'URSS, cette région était désagréablement proche des sites d'extraction pétrolière de Ploesti, la première source de carburant de l'Allemagne. Ce mouvement vers la Bessarabie fut perçu comme une menace de première grandeur par Berlin, et précipita la décision d'envahir l'URSS au plus tôt en grande partie pour protéger cette source de pétrole indispensable.
C'est ainsi que Hitler attaqua l'URSS au Solstice 1941 plutôt qu'à celui de 1942, un an trop tôt d'après les estimations de ses propres Généraux, et même DEUX en comptant les pertes en hommes et en matériels subies en Pologne et en France.
C'est ainsi qu'il attaqua l'URSS avec une Wehrmacht à 80-90% hippomobile, dont en outre environ 60 divisions étaient immobilisées par l'occupation des territoires conquis à l'Ouest en au Sud-Est de l'Europe. Et c'est ainsi qu'il perdit la guerre.....
Et si je devais désigner UNE bataille qui lui fit perde cette guerre, je désignerais Khalkin Gol, là-bas, aux confins de la Sibérie. Car la confirmation de la victoire soviétique sur les Japonais le 16 Septembre 1939 permit à ,la Stavka (Grand Etat Major Soviétique) d'envisager calmement le transfert de Divisions sibériennes à l'Ouest en cas de besoin... ce qui advint en Automne 1941 avec les conséquences que l'on sait.
Conclusion: étude fastidieuse? peut-être. Mais depuis 1900 nous vivons dans UN MONDE RELIE. Le battement des ailes d'un papillon.... Alors, si au lieu de regarder le bout de notre nez nous regardions AUTOUR DE NOUS, dans le monde? Il y a beaucoup de motifs non pas d'espoir, mais de non-désespoir: les "autres" ont aussi LEURS problèmes. Sachons les voir: savoir c'est pouvoir.