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Billet de blog 29 août 2014

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Etranges parallèles.

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Je vais me lancer dans un exercice périlleux: refaire l'Histoire. Mais vous verrez que ce n'est pas sans raison.

Nous sommes au début de 1938: Berlin veut "récupérer" les Sudètes, province de la Tchécoslovaquie, Etat créé en 1919 après le Traité de Versailles, sur les ruines de l'autriche-Hongrie. Cette province industrielle est peuplée d'Allemands qui veulent rejoindre le IIIe Reich.

La France a un traité d'alliance avec Prague, et l'Angleterre une "sympathie" pour ce jeune Etat. Les deux Alliés de 1914 montrent les dents: la France mobilise "pour honorer le traité d'alliance". Londres suit assez vigoureusement.

1° Londres suit parce que Berlin a entamé une série de négociations économiques avec des pays tiers, notamment l'Argentine, sur la base du troc, ce qui sera encore le cas lors du Pacte Germano-Soviétique de 1939. C'est-à-dire que les partenaires évitent le circuit de crédits habituel dans les échanges internationaux, dont l'essentiel à l'époque transite par la City. Et ça, c'est une menace mortelle pour l'économie Britannique. Considéré avec sympathie (même par Churchill!) jusque là comme "le rempart contre le Communisme", hitler devient un adversaire à abattre.

Car le Royaume Uni des années 30 est un pays ruiné. Aux alentours de 1900, elle a délaissé l'industrie "salissante" pour des activités bancaires et d'assurance "plus nobles". L'effet, lorsqu'elle entra en guerre en 1914 fut catastrophique: pas d'industrie de guerre digne de ce nom et les débiteurs du monde entier "gèlent" leurs remboursements; un des plus gros débiteurs était l'Allemagne Wilhelmienne! Les Français, autres gros créanciers mondiaux, subirent le même sort: dès 1915 Anglais et Français entreprenaient conjointement des demandes de crédits aux banques US.... En 1919, la carte du monde était bouleversée, et ni Londres ni Paris ne devaient recouvrer la totalité des créances d'avant la guerre.... A tel titre qu'en 1931, bien qu'ayant à grand'peine rétabli ses circuits financiers, la City est le centre mondial des transactions, en 1931, durement touchée par la Crise de 29 et la Dépression, Londres se met en défaut de paiement de ses dettes vis-à-vis des USA. On imagine l'effet que la politique de troc de Berlin dut avoir dans les hautes sphères britanniques....

2° Londres et Paris ne sont pas que des amis bien intentionnés vis-à-vis de Prague. Les traités d'alliance ont ouvert la voie à des ententes commerciales, notamment dans le domaine des usines d'armement, usines qui sont situées en majeure partie dans les Sudètes. En particulier les usines Skoda, dé réputation mondiale. Exemples: le fusil mitrailleur Bren, arme collective de l'Armée Britannique presque jusqu'à nos jours, est le fruit de la collaboration de l'usine Skoda de Brdno avec les armuries de Lee-Enfield (britannique); "et le char d'assaut 38 (t) d'origine tchèque équipera près de la moitié des Panzerdivisionnen de 1940...

On comprend donc l'opposition de Londres et de Paris à l'annexion des sudètes par Berlin. Or, surprise! A la conférence "à 4" (Allemagne, Italie, France, Royaume Uni), la délégation tchèque n'étant qu'invitée, un "accord" est trouvé: les Allemands auront les Sudètes! et, tenez vous bien: ce sont les Anglais et les Français qui forcent la délégation Tchèque à accapeter le diktat! Etonnant, non? eût dit le regretté Pierre Desproges. Que s'est-il passé?

Eh bien, pendant que les grands chefs discutaient, de discrètes réunions eurent lieu dans lesquelles les consortiums allemands d'armement "dédommagèrent" les consortiums anglais et français, actionnaires notamment de Skoda, des pertes qu'ils allaient subir du fait de l'annexion. Fin de la crise, démobilisation, Chamberlain et Daladier sont acclamés par des foules en délire à leur retour.

On connaît la suite: Mars 1939, Hitler "gobe" ce qui reste de la Tchécoslovaquie, Chamberlain est furieux. quand Berlin évoque le "triste sort" des Allemands de Dantzig, l'homme au parapluie propose une alliance inconditionnelle à Varsovie, suivi par Paris, et Varsovie accepte. et la 2e Guerre Mondiale telle que nous la connaissons débute.

C'est ici que l'on commence à penser "et si...".

Quels sont les intérêts de la France et du Royaume Uni dans une défense inconditionnelle de la Pologne? Aucun.

Je sais, c'est cruel à dire lorsqu'on songe aux souffrances endurées par ce malheureux peuples durant les cinq années qui suivent. Mais le devoir d'un gouvernant est d'assurer les intérêts du peuple, en particulier de lui éviter les horreurs de la guerre. Tout le monde s'accorde aujourd'hui à dire qu'un coup d'arrêt au IIE Reich aurait du avoir lieu en 1936, lors de la réoccupation de la Rhénanie par la Wehrmacht. Celle-ci était trop faible en effectifs et armements pour résister à la seule Armée Française; et ce coup d'arrêt aurait sans doute amené la chute d'Hitler dont l'aventurisme effrayait déjà la Wehrmacht. En 1939, il était trop tard.

Là encore, c'est dur à dire, mais Hitler n'a aucune ambition à l'Ouest de l'Europe: son objectif est à l'Est, notamment en Pologne et russie d'Europe, surtout d'ailleurs l'Ukraine, fabuleuse réserve agricole. De plus, il est un anti-communiste vociférant. Il l'a dit, redit et écrit dans "Mein Kampf". Une guerre IIIe Reich/URSS est inévitable.

Et pour l'Allemagne, elle est aussi inévitable qu'ingagnable: la Wehrmacht est une armée "européenne" c'est-à-dire construite pour opérer en Europe avec réseaux routiers et ferroviaires en bon état, climat "tempéré", avec d'assez courtes distances entre les agglomérations etc... A l'Est de Varsovie, presque rien de tout cela n'existe. De plus, même après l'Anschluss l'Allemagne ne dispose pas d'assez d'hommes (de "fusils", de combattants de première ligne potentiels) pour espérer contrôler l'espace de la Russie d'Europe.

Staline, qui est anti-capitaliste, ne souhaite pas saigner à blanc l'URSS au profit des Anglais, qui seront jusqu'à sa mort "l'ennemi principal" du système soviétique (tiens!). Il est probable que, même en cas d'abstention des Anglo-Français vis-à-vis de la Pologne, le Pacte Germano-Soviétique aurait eu lieu: Moscou avait besoin du "glacis" supplémentaire de l'Est polonais lorsque Berlin l'attaquerait. Et l'URSS avait encore plus besoin des machines-outils et produits industriels livrés  par l'Allemagne en échange du pétrole et des matières premières.

Et le Japon? diront les géostratèges, le Japon proche de l'Allemagne? Fin 1939, le Japon n'a pas encore adhéréau Pacte AntiKommintern . Il hésite entre deux "solutions" pour son expansion  à la recherche de matières premières: la "solution nord" vers l'Extrême Orient Soviétique (il a pour cela appuyé la fondation de la "Société du Dragon Noir", en Chinois "Hailong Djiang", le nom du fleuve Amour), et la "solution sud" vers le riche Sud-Est Asiatique, "propriété" des puissances occidentales. Il va tâter le terrain près de la Mandchourie, à Khalkhin Gol à partir de l'enclave de Nomonhan.

L'attaque japonaise débute le 11 Mai 1939 et remporte quelques succès contre les Soviétiques commandés par le Général Blyoukher (phonétiquement, c'est proche de "Blücher" l'allié Prussien des anglais à Waterloo), vite remplacé par un jeune Général prometteur: Georgui Joukov. celui-ci va infliger une défaite sanglante aux Nippons: plus de la moitié des effectifs engagés et les dégoûter définitivement de la "solution nord". Les hostilités se terminent le 16 septembre 1939. Cette bataille qui a eu effectivement lieu est la clé de la victoire des Soviétiques sur le front de l'Est dans la "vraie" 2e guerre Mondiale. Elle a permis à staline d'aller puiser des réserves en sibérie, qui lui auraient fait défaut en cas d'hostilités avec le Japon. Et elle aurait vraisemblablement eu lieu aussi dans mon hypothèse.

La date et le déroulement des hostilités entre Allemands et Soviétiques dans ce cas de figure reste du domaine du "si..". Mais le IIIe Reich, "rassuré" par l'immobilisme Anglo-Français, n'aurait pas attaqué à l'Ouest. Je vous laisse imaginer la suite: pas de défaite de 40, pas d'occupation de l'Europe de l'Ouest, et peut-être un temps inappréciable gagné pour combler le retard d'armement des "démocraties": les matériels modernes français et anglais commencent dans la vraie guerre à arriver aux unités début 1940.....

Je ne voudrais pas insinuer que "des morts russes et allemands" valent mieux que des morts français, belges, hollandais et autres. Ce n'est pas mon propos.

Mon propos c'est la mauvaise appréciation faite par la France et le Royaume Uni sur leurs intérêts vitaux: valait-il la peine de déclarer la guerre pour "défendre" la Pologne, certes valeureuse? Pas "mourir pour Dantzig", non mais dans la réalité, nous n'avons absolument pas aidé la Pologne: les Alliés sont restés l'arme au pied pendant que les Allemands "cassaient" du Polonais civil ou militaire. Et en 1944,nous avons laissé la Pologne aux mains des Soviétiques, nous ne l'avons jamais rétablie dans ses frontières de 1939: la Pologne à "migré" vers l'Ouest, et a cédé une partie de son Est à ce qui devait devenir la Biélorussie moderne. Nous avons "lâché" les Polonais comme nous avions lâché les Tchèques. C'est pour moi la principale leçon à tirer de ces années 38-40.

Les Anglais voulaient défendre "le système sterling", la monnaie "la plus forte" du temps grâce à la City. Les Français, vaguement honteux d'avoir laissé crever les Républicains Espagnols, et pleins des souvenirs de 18710 et de 14-18 voulaient en découdre avec Hitler. enfin, les sphères dirigeantes, parce que  le peuple Français, comme le peuple Allemand d'ailleurs, ne voulait pas de la guerre (cf le fiasco de la parade de blindés organisée à l'été 1939 à Berlin: la réaction populaire fut la terreur...). Comme "but de guerre", il y a mieux.

Nous ne sommes pas aujourd'hui dans la même configuration, mais dans une situation semblable: le "système dollar" est en perte de vitesse, menaçant le leadership US. Washington, au rebours de Londres en 1938-39 a une attitude agressive évidente: l'Ukraine, par exemple, est-elle l'équivalent des Sudètes? Certainement pas. L'ennemi N°1, vu de Washington, n'est pas Moscou, mais Beijing; Moscou n'est "que" l'allié de la Chine, qu'il conviendrait d'affaiblir afin de ne pas se coltiner deux adversaires de belle taille à la fois.

C'est pourquoi le consensus de Shanghaï, l'entente des BRICS (qui attire nombre de pays), la proposition d'Eurasie, mais surtout la proposition d'un système d'échanges internationaux hors-Dollar sont des hérésies vues de Wall Street, qu'il coonvient d'étouffer dans le sang s'il le faut. Ma question est: quel est l'intérêt de la France, quel est l'intérêt de l'UE dans ce combat douteux?

Jean HUCK.

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