Marc Durand, militant aixois très actif auprès des étrangers (Roms…) nous a transmis il y a quelques jours ce commentaire concernant l’article de Viviane Thibaudier sur la xénophobie et La Marseillaise.
Xénophobie : réponse à l'article de Vivaine Thibaudier
Cet article de Viviane Thibaudier est fort intéressant, très éclairant, il décrit bien le fonctionnement d'une certaine xénophobie. J'ai cependant une réserve sur la première partie qui attribue au chant de la Marseillaise et ce qui l'entoure la tendance française à la xénophobie. Historiquement, il me semble que le refus de l'invasion de cette époque était justifié et qu'il y avait bien invasion. Tant l'Autriche que la Grande Bretagne voulaient dominer la France, et surtout détruire les nouvelles bases de la société que les Révolutionnaires avaient établies. Prise de pouvoir politique, donc, par des puissances étrangères, et je pense juste qu'un peuple s'y oppose, et par ailleurs instauration d'un type de société dont les Français ne voulaient plus. Après on peut discuter les termes employés dans ce chant, bien sûr, mais l'esprit en était, à mon avis, légitime. On pourrait analyser aussi les trois guerres contre l'Allemagne : la première était bien une question de pouvoir et de puissance – les Alsaciens-Lorrains en savent quelque chose, la dernière était surtout, au-delà de l'impérialisme d'une super-puissance, une lutte contre une idéologie mortelle. La première guerre mondiale tombe probablement dans le domaine d'une xénophobie dominante et entretenue (mais bien d'autres angles de vue pourraient être évoqués).
Si cette question me semble intéressante, c'est qu'elle mène à se poser la question de l'étranger, de l'immigration, qui dépasse celle de la xénophobie. La terre appartient à tous les terriens, cela n'empêche pas qu'elle doit s'organiser pour permettre aux différents peuples de survivre. Les individus, comme les sociétés, ont besoin de sécurité pour s'épanouir, et cela passe entre autres par la notion d'espace vital (comme pour les animaux). Il ne suffit pas de dire que tout étranger peut venir chez moi, il faut en parallèle prendre en considération le besoin de chacun, de chaque groupe, de se retrouver. Et cela met des freins réels à l'immigration. Le xénophobe voit l'étranger comme un danger et il a tort. Cela n'empêche pas les problèmes que peut poser l'immigration.
Je pense, comme beaucoup, que l'immigration est une chance pour nous. La France est un pays d'immigration, il suffit de considérer nos patronymes, et cela depuis très longtemps. Je pense aussi qu'il y a une intolérable discrimination envers bien des pays: nous trouvons normal de nous y installer, d'y voyager, comme cela nous semble bon, et en retour leurs ressortissants ont toutes les peines – ou l'impossibilité – pour en faire autant chez nous. Je pense que nous avons des devoirs envers nos anciennes colonies qui ont subi notre "invasion". Je ne fais pas repentance dans la mesure où nos ancêtres croyaient "bien faire", il reste qu'objectivement nous les avons utilisées, exploitées, que nous avons détruit les bases de leurs sociétés. Nous ne pouvons rentrer dans notre tout d'ivoire comme si cela n'avait pas eu lieu. Je pense enfin que tout homme doit être traité avec dignité – quoiqu'on pense de sa présence chez nous – et que ce n'est pas le cas actuellement. Je pense enfin que l'accueil et la fraternité sont des valeurs essentielles à notre condition d'humains. Et donc je suis partisan d'ouvrir au maximum les portes aux immigrants (sans parler de ceux qui cherchent refuge).
Mais si l'article développe remarquablement les ressorts individuels de la xénophobie, je pense que l'immigration est un problème politique qu'il n'est pas simple de traiter. Nietzsche a bien montré la réalité des forces vitales en lutte qui nous constituent, de nombreuses activités ou efforts de l'homme entrent en contradiction avec les qualités d'accueil et de fraternité. Pour les peuples, c'est le rôle du politique de réguler ces conflits. Je pense que nos compatriotes ont des raisons raisonnables de se poser des questions sur ce sujet et qu'il est trop simple de prétendre laisser faire sans réguler (comme d'autres libéraux veulent le faire pour le marché) et traiter de xénophobes ceux qui sont plus frileux sur ce sujet.
La question est complexe, il me semble. Et je reconnais que la frontière entre xénophobie et "régulation politique" de l'immigration est fragile et réclame une grande vigilance. Les trop grandes simplifications ne résolvent rien. La difficulté en France actuellement tient à ce que ce sujet est devenu un sujet électoral. Tout discours est piégé et celui qui s'exprime est automatiquement sujet à condamnation. Alors on évoque cette question si importante uniquement dans des cénacles pour se conforter, ou dans des joutes pour écraser l'adversaire. A quand un débat ouvert ? Marc Durand