Il y a des anniversaires que personne ne célèbre. Le 23 fevrier 1991, démarraient les émeutes du quartier du Chaudron à la Réunion. Le détonateur en était l’interdiction par le C.S.A de télé Freedom, chaine de télévision, très populaire au sein de la population, particulièrement prisée pour sa libre antenne. Mais les raisons de fond avaient bien davantage à voir avec l’exclusion, le chômage et l’absence d’avenir de la jeunesse locale.
Comme en écho, le 23 février 2013, la Réunion jouait un remake aux airs tristes de déjà vu. De nouveau des émeutes, de nouveau des scènes de pillage, des barrages, des pneus en flamme. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, l’île de la Réunion, est de nouveau en proie à des émeutes urbaines. Loin des circuits touristiques et des cartes postales, c’est une autre Réunion qui s’enflamme sous nos yeux : celle de la misère, de la perfusion des allocations sociales, de la désespérance. 30% de chômeurs sur l'île, plus de 60% chez les jeunes de moins de vingt-cinq ans.
La farce coloniale est connue : populations sous tutelle, économie sous perfusion, développement inexistant. il s’agit bien là de problèmes récurrents qui perdureront tant que les pouvoirs publics n’auront pas décidé de remettre en cause le système actuel. C’est pour mettre un terme à cette situation, que les voix de ces territoires que l’on qualifie d’outre-mer se sont largement portées, au second tour de la présidentielle vers François Hollande. L’absence du changement promis est aujourd’hui patente. La colère monte. Les évènements de la Réunion sont nés d’un trop plein de frustration, qui n’a pas fini de se déverser.
Mais malgré les émeutes, dans les médias de l’hexagone, on en a presque pas parlé. Le moindre fait divers capte davantage d’attention que le risque d’explosion qui caractérise la période. Gageons qu’à Cayenne, Fort de France ou Pointe à pitre chacun regarde pourtant ce qui se passe avec une attention aiguisée. Mais à Paris, selon une mécanique immuable, on attend sans doute que des violences aient livré leur lot de désolation et de chaos pour daigner porter à la connaissance des françaises et des français ce qui se joue à la réunion.
Mais si la Réunion n’était cette fois que le laboratoire de la révolte qui gronde ? La souffrance sociale est à son comble. Dans l’hexagone, deux chômeurs , arrivés au bout du désespoir ont commis le terrible geste de s’immoler. A la Réunion, des départs de feux sont péniblement maitrisés : les flammes répondent aux flammes. Et l’incendie couve. Même si la population rejette dans son ensemble ces actes inqualifiables, certains commencent à estimer que parmi les manifestants, ceux qui recherchent vraiment un travail, n'ont pas d'autre solution pour bousculer l'ordre établi et se faire entendre..
Et le gouvernement dans tout ça ? Il n’y a pas pire aveugle que celui qui ne veut pas voir. Les yeux grand fermés, l’Etat français dénie la violence de la crise pour ceux qui la subissent de plein fouet, et parie sur un retour à la normale, tout en se préparant à faire donner la troupe si les débordements prenaient trop d’ampleur. Le maintien de l’ordre semble être son seul cap.
L’avenir qu’on prépare pour la Réunion et tous les territoires meurtris, c’est le no futur généralisé. Mais, au fond, ceci se fait de longue date, dans une indifférence planifiée qui préfère l’achat récurrent de la paix sociale au développement. Comme si il n’y avait qu’une seule politique possible, on s’apprête à couper dans des budgets sociaux qu’il faudrait renforcer, et on se détourne des investissements nécessaires pour préparer l’avenir. Circulez, y’a rien à voir.
Ce qui est plus neuf c’est l’extension de cette logique de saupoudrage à la métropole elle même. Désormais, les crédits sociaux ne sont plus conçus comme des budgets destinés à combattre les inégalités mais comme des filets permettant d’amortir le choc du déclassement. Rigueur, austérité, priorité donnée au désendettement : on joue sur les mots pour ne pas dire que la priorité ne sera pas donnée à la question sociale.
Augmentation du chômage, désespoir des jeunes, avec la rue comme unique exutoire, est ce bien cela que nous voulons pour nos enfants ? La question mériterait de trouver quelque écho médiatique. A ceux qui doutent de cette nécessité, je crains que la réalité démontre bientôt que la loi du silence qui entoure la situation de ces régions que l’on nomme outre-mers prépare des lendemains bien pire.