Les grands débats politiques prennent souvent du temps, mais du temps, nous n'en avons pas toujours. La responsabilité sociale des entreprises (RSE) est un de ces grands débats, un de ces concepts primordiaux que nous devons absolument développer, et ce rapidement. Malheureusement, elle est aussi un de ces sujets sur lesquels il est si difficile d'avancer et de convaincre, surtout quand beaucoup profitent de l'absence de règles et n'ont grand intérêt au changement.
En 2011, la Commission européenne publiait une communication sur la RSE, avec ce titre "Responsabilité sociale des entreprises: une nouvelle stratégie de l'UE pour la période 2011-2014", qui contenait un très timide plan d'action, se limitant le plus souvent à des actions de coordination et de communication visant à la promotion de la RSE.
Un an et demi plus tard, le Parlement européen adoptait en session plénière, le 6 février dernier, deux rapports d'initiative sur la communication de la Commission, l'occasion pour ce dernier de se saisir pleinement d'un débat on ne peut plus urgent et de pousser politiquement la Commission à aller plus loin, à prendre toute la mesure du poids des actions des entreprises et à proposer un cadre d'action contraignant.
Il n'en fut rien.
Si les deux rapports sont emplis de louables considérations, de ferventes déclarations en faveur de la RSE, la teneur juridique de leurs formulations alambiquées se réduit à une peau de chagrin au fil de l'analyse légale.
Refusant de demander clairement un cadre contraignant pour la RSE, demeurant frileux sur la compétence extraterritoriale de nos juridictions, le Parlement européen est tout juste parvenu à s'accorder sur la nécessité d'une proposition législative sur la transparence des informations fournies par les entreprises en termes de RSE.
Aujourd'hui les écologistes le répètent : la timidité politique du Parlement européen n'est pas seulement regrettable, elle est aussi dangereuse.
Les entreprises sont au cœur des actions économiques et sociales du monde et il ne sert simplement à rien de défendre de grands objectifs tels que fonder une société plus solidaire, amorcer une transition vers une économie durable si c’est pour laisser les principaux acteurs économiques libres d’être responsables ou de ne pas l’être. De la même manière, il est insuffisant d'établir un cadre contraignant en Europe, si ce n'est pas aussi pour garantir que les entreprises qui commettent des violations dans les pays tiers puissent en être tenues responsables dans leurs pays d'origine.
A titre d'exemple, on ne peut tolérer qu'Areva, employant des milliers d'ouvriers nigérians à extraire de l'uranium pour fournir un tiers des centrales nucléaires françaises puissent se déresponsabiliser purement face à ses salariés, qui le paient parfois de leurs vies, et face à l'environnement, qui est aujourd'hui durablement contaminé. Refusant de reconnaître comme maladies professionnelles les pathologies développées par ses mineurs, fabriquant un observatoire de la santé chargé du suivi post-professionnel qu'elle finance à 100%, Areva décide de fermer les yeux sur ses responsabilités et le pire, c'est que nous n'avons pas d'outil juridique à notre disposition pour l'y contraindre.
Les entreprises extractives dans les pays du Sud, qui exploitent intensivement leurs ressources minières, l'industrie textile ou de production électronique, qui exploitent la main d'œuvre à bas coût, les PME, qui constituent le plus grand réservoir d'emploi qu'il soit, ces entreprises doivent être acteurs du changement.
Et elles doivent l'être non pas selon leur bon vouloir, mais dans un cadre contraignant que le législateur aura établi.