Témoignage : La pandémie ne saurait empêcher certains de faire du pognon
J’habite dans le nord de Paris. Notre résidence comprend une centaine d’appartements. Un de ces appartements est en réfection.
Jeudi dernier, troisième jour du confinement, alors que le restais sagement chez moi dans mon deux pièces avec ma compagne, nous fûmes agressés par un bruit de perceuse insupportable (nous apprîmes par la suite que des ouvriers attaquaient le béton à une dizaine de mètres de nos oreilles).
Je me suis précipité à la fenêtre et entre deux épisodes de perçage, j’ai poliment expliqué que ce n’était certainement pas le moment de procéder à ce genre d’opération alors même que la population était bloquée chez elle.
Le bruit a stoppé avant de reprendre 30 minutes plus tard. J’ai réitéré ma remarque à la fenêtre en indiquant que j’allais solliciter le concours des services concernés afin de mettre un terme à une attitude non civique. Le bruit s’est définitivement stoppé.
Deux heures après les faits j’ai appelé une personne membre du conseil syndical pour l’informer de l’incident. Elle m’informa que le syndic avait reçu un email l’informant de travaux encours dans notre résidence et demandant une autorisation de les poursuivre. Cet email émanait du donneur d’ordre et de la société qui les réalisait. A l’évidence cet email était la conséquence de mon intervention. La réponse du syndic était qu’il convenait de prévenir par affichette les habitants des travaux en cours et des nuisances, mais qu’à cette condition les travaux pouvaient se poursuivre.
Le conseil syndical était muet et n’entendait pas contester. Par ailleurs il refusait de me communiquer les échanges d’email avec le syndic.
Je décidai de descendre pour aller constater ce qui se passait. Des ouvriers non masqués circulaient, et débarrassaient des sacs de gravats. Les règles de confinement étaient loin d’être respectées. Et comment pouvaient-elles l’être ? Transport de matériel, transport de débris, utilisation d’une seule camionnette, absence de gants, de masques. J’expliquai aux ouvriers qui quittaient le chantier (conséquence encore de mon intervention) que le lendemain un contrôle pourrait intervenir et de bien en informer leur patron. Mon but n’est pas de balancer qui que ce soit, surtout de pauvres prolétaires potentiellement sans papier qui bossent pour survivre.
Je remontai chez moi et me fendis d’un long email au syndic. J’expliquai le non respect des règles de confinement ainsi que les nuisances sonores rendant difficile la survie en vase clos.
Après plusieurs conversations téléphoniques, la situation pouvait se résumer en cinq points :
-le donneur d’ordre est un investisseur immobilier qui n’entend pas perdre quelques semaines de loyer en décalant ses travaux. Il aurait un locataire pour l’appartement.
-l’entrepreneur est évidemment incapable de respecter les règles de confinement. A-t-il informé ses propres ouvriers des dangers qu’ils encourent et font courir aux autres ?
-le bruit généré est insupportable pour les personnes présentes…c’est-à-dire tout le monde en période de confinement.
-le syndic, sous ma pression, a fortement déconseillé la poursuite des travaux par email au donneur d’ordre et à l’entreprise mais m’explique qu’il n’a pas le pouvoir de les interdire. Le conseil syndical est aux abonnés absents.
-le donneur d’ordre, sûr de son bon droit, se réserve le droit de reprendre à sa guise les travaux
Et c’est là que cette histoire prend potentiellement un tour politique. J’ai reçu hier de mon maire d’arrondissement par email un petit tract résumant la situation dans notre arrondissement : respect des règles de confinement, ouverture des commerces d’alimentation, fermeture des marchés ouverts…Or un petit alinéa précise que les travaux de rénovation sont autorisés par la préfecture sous réserve qu’ils ne provoquent pas de rassemblement. Notre maire précise cependant qu’il conviendrait, de son point de vue, de s’assurer que ces travaux n’entrainent pas de nuisance.
Quelles conclusions ?
1/A des fins de profit personnel, alors même que des millions de personnes ont perdu tout ou partie de leur revenu, certains n’hésitent pas à ne pas respecter les plus élémentaires règles sociales. Ayons d’ailleurs une pensée pour les futurs retraités qui obéissant aux incitations de retraite par capitalisation ont perdu 30% à 35% de leurs futurs pensions en quelques semaines.
2/Des entreprises, incapables d’assurer la sécurité de leurs travailleurs et du public, poursuivent des activités qui ne sont pas indispensables à notre survie durant la pandémie.
3/L’Etat a un double langage. Il est intraitable au niveau des particuliers : je me suis fait sermonner par les forces de l’ordre pour marcher à distance, mais côte à côte, avec la compagne qui partage mon lit, en allant acheter la baguette au coin de la rue. Il souhaite maintenir l’activité économique à tout prix, en s’autorisant un non respect des principes qu’il a établis, et que les Français respectent si j’en crois ce que je vois dans les rues autour de chez moi.
4/Les ouvriers ne sont pas revenus vendredi, seront-ils là lundi ? Entre temps j’ai informé la mairie…à suivre.