Chacun est plus ou moins – plus que moins – étonné de ce que l’ordinateur peut produire. Et des révolutions, de celle qui devrait s’accorder à l’attention naturelle du grand public, quelque chose, avec qui on peut se mettre à dialoguer. Quelque chose, qui nous délivre des informations, tout autant que des réponses. Un camarade de classe, le premier de tous, qui ne faudrait même pas soudoyer pour en obtenir les bonnes notes. Un ami, à qui on parle de ses problèmes, et qui nous trouve des solutions. Un cuistot à qui on demande la recette d’un tarte aux pommes. Un physicien qui sait nous calculer la courbure de l’espace-temps imposée de l’un des trous noirs dirigés à la galaxie d’Andromède. En fait, tout un tas de choses. Et même s’il est plus capable de nous donner en quelques nano-secondes la cent-septième décimales de Pi qu’à nous révéler l’astrophysique à son tout plein, tout ça, dans son ensemble, est envisageable. Et c’est là-dessus qu’il faut s’arrêter.
Au point fondamental du propos, et parce que tout ce qui s’y inscrit en découle, permettons-nous l’étendard du plus simple postulat : l’intelligence-essence en tant que grâce humaine. Plus qu’à l’essence, à son propre essentiel, à sa suffisance totale. Le plus puissant archétype d’une singularité propre et pure. C’est ce qui nous permet de créer, de nous définir à l’humain, de nous rendre à notre état de supériorité factuelle – sans en avancer quelconque déviance morale – ou du-moins à celle que nous pouvons nous hisser à l’image. En-somme : à notre liberté, à celle de s’extirper de notre condition initiale, par notre essence qui s’y articule tout autant.
Disons-le maintenant : l’intelligence artificielle n’est qu’un prétexte. L’intelligence artificielle, là-dessus, c’est le cadet de nos soucis. Pas grande à faire, de tout ce bric-à-brac. En tout cas dans son expérience. ChatGPT amuse un instant. Dall-e occupe quelques secondes de l’après-midi. Et disons-le : nous ne connaissons pas grand chose d’autre à ce sujet. Mais au sourire tout de même conscient, on viendra étayer l’exemple premier de ce dont nous devrions-là être obsédés : la dite grâce humaine. Tout tourne autour de ça. Tout se conçoit à ce même prisme. Tout ce qui transperce notre rétine à l’injecter aux confins de nos neurones et tout ce cafouillage électrique. De l’exemple du sujet, ce n’est pas viser la prédiction d’un futur chaotique où la machine « se serait soulevée ». En tout cas, pas dans son sens conventionnel. Soyons sérieux : la machine ne sera rien d’autre de plus que… machine. Un peu – exactement en fait – au délivré « Si l'intelligence artificielle est capable de m'imiter, c'est que je suis le problème – pas l’ordinateur » de Alexandre Astier il y a quelques semaines chez Le Figaro. S’il y a bien un soulèvement, l’unique responsable en sera l’humain [de ne pas avoir su le rester]. Ce ne sont pas les ordinateurs qui se trafiqueront d’eux-mêmes à prendre les armes, mais l’être humain lui-même qui se dévêtira de sa beauté. La seule chose qui se tend à l’apocalyptique, c’est de ne plus savoir quand on s’y dirige, ou plutôt de ne pas reconnaître le moment où elle se pointera.
Prenez votre tourne-vis. Votre outil, droit à votre paume, prêt à vous servir, à s’acclamer à vos ordres. Lui, il n’est là que pour accomplir sa tâche-essence : tourner la vis, pour que votre cadre puisse s’afficher à votre mur blanc. Vous, vous le contrôlez, en plus de l’avoir créé. C’est exactement ce qu’est l’intelligence artificielle. Et c’est exactement ce à quoi elle doit se tenir. Pas d’elle-même : de notre responsabilité. Les lignes de code qui se complètent par apprentissage, sans jamais avoir l’audace, tout de même, de se conforter à son être exclusivement d’elle-même. Votre tourne-vis ne doit pas se substituer à votre rôle. Mais encore plus : vous ne devez pas vous étendre à lui prendre le sien. Se dévêtir de sa beauté, de son existence-même, c’est précisément ne plus comprendre, ne plus se poser à sa conscience, de ne pas être l’outil que l’on a créé. Et par extension explicite : ne pas se jeter à la conscience dévorée de son agissement de paresse. L’intelligence artificielle a de bon que de pouvoir se souvenir [ou se le dire pour la première fois] que nous sommes plus que le matériel que l’on se dégage.
Tout ce qui est là, et tout ce que l’on se permet de remarquer et ressentir, se surprend là : nous sommes, plus que tout, des êtres profondément imbriqués à la métaphysique. Et simplement : nous nous identifions – au-delà de l’accoutrement, et justement à s’y rendre à l’évidence titillée – à l’intelligible.