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Billet de blog 18 mai 2015

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São Paulo, catastrophe sanitaire en vue?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

São Paulo, plus grande mégalopole du Brésil, comptant environ 20 millions d'habitants pour l’agglomération traverse une grave sécheresse. Le manque de pluie explique en partie la situation, mais également les politiques menées depuis plusieurs années: privatisation, dividendes aux actionnaires, manque de transparence et manque d'investissement. Chronique d'un désastre annoncé.

Une année sèche.

L'année 2014 a présenté un déficit de pluie. Année la plus sèche depuis 32 ans selon la Sabesp (la compagnie qui gère les eaux de São Paulo). Cependant, comme le montrent les chiffres de la Sabesp, il s'agit d'un problème sur un ou deux ans et avant cela les niveaux étaient correctes. D'ailleurs le réservoir de la Cantareira  débordait partiquement il y a 4 ans.

Certes, l'année fût sèche, mais somme toute, rien d'exceptionnel et de si imprévisible que cela. Entre 1979 et 1985 le Brésil a traversé une crise bien plus grave et plus longue. De plus, le dernier été (final 2014/début 2015) fût l'un des plus pluvieux des dernières années. Donc oui, il y a eu une sécheresse, mais rien d'imprévisible au vu des données disponibles.

De telles "crises hydriques", comme il faut dire ici, sont prévues par les ingénieurs sur la base de calculs statistiques qui servent à déterminer la taille nécessaire des réservoirs pour assurer la distribution d'eau à la population. En plus des ces considérations, il faut également croiser ces données avec les estimations démographiques qui permettent d'évaluer l'évolution de la demande.

Le plus grand réservoir qui alimente la ville de São Paulo, le système "Cantareira" a commencé à être construit dans les années 60 suite à l'insuffisance des réserves et sur la base de calculs de ce type. Déjà, à l'époque l'agence national de l'eau (ANA) savait que ce nouveau système serait suffisant jusque dans les années 2010 et qu'à ce moment là de nouvelles alternatives devraient être mises en place pour se mettre en accord avec l'évolution de la population estimée à l'époque.

Privatisation, investissements.

Seulement, entre temps la Sabesp a été privatisée et cotée en bourse aux États-Unis. Pour les investisseurs, la Sabesp représente un très bon choix comme le montre le tableau ci-dessous détaillant l'évolution des dividendes distribués (le minimum légal au Brésil étant de 25%):

En fait, la Sabesp n'a pas été complètement privatisée, mais une partie de son capital a été introduit en bourse à New York. A partir de ce moment, selon un rapport le l'université UNIFESP, il existe un lien entre l'évolution des tarifs et les performances de la Sabesp en bourse. En plus l'Aresp, l'agence régulatrice chargée de contrôler la Sabesp, a mis plus de 5 ans a être créée après l'ouverture de capital de la Sabesp, si bien qu'un audit n'a été réalisé que bien tard.

La Carta Capital, a publié les conclusions d'un rapport fait par la propre Sabesp, le rapport 20-F, qui conclue clairement qu'en 2012-2013 la compagnie n'a pas fait les investissement nécessaire pour protéger le système Cantareira d'une possible sécheresse alors que la société connaissait ses plus gros bénéfices historiques. Depuis 2004, la Sabesp a réalisé 12 milliards de reais de bénéfices, de ce total, 4 milliards ont été redistribués aux actionnaires.

Aujourd'hui la situation est extrêmement critique et l'état d'urgence a été décrété. En conséquence les ouvrages vont démarrer sans être passés par un appel d'offre comme l'autorise la procédure d'ouvrage d'urgence. Evidemment une telle procédure laisse peser des soupçons d'accords irréguliers et de possible corruption.

Mensonges

Le pire des mensonges fût bien entendu celui de la dernière campagne électoral des gouverneurs d'état. En plein campagne, alors que de nombreuses personnes à São Paulo étaient déjà victimes de coupures d'eau, le gouverneur Alckmin, réélu depuis, a déclaré sans aucun problème "qu'il ne manquait pas d'eau, et qu'il n'en manquerait pas". Ce qui est sûr, c'est que d'air, il ne lui en n'a pas manqué. En revanche, à peine réélu le gouvernement instaurait un rationnement de distribution d'eau avec des plages horaires durant lesquels l'eau était (et est encore) tout bonnement coupée. 

On peut visualiser cette déclaration ici.

En plus des mensonges du gouverneur PSDB de l'état de São Paulo, on peut s'interroger sur la connivence des grands médias. Le climat politique n'est pas propice non plus, la présidente Dilma faisant face à une hostilité ouverte de la plupart des grands médias de São Paulo qui soutiennent l'oppostion, dont fait parti le gouverneur de São Paulo. Dans ce contexte, on ne peut que remarquer la complaisance des médias sur ce grave problème qui risque de plonger la plus grande ville du pays dans le chaos. 

Le principale problème est de cacher les raisons politiques de ce désastre qui rend impossible la remise en cause d'une gestion dramatique. Après des années de distribution de dividendes pharaonique et d'investissements largement insuffisants, les médias se contentent de la fable selon laquelle São Paulo traverserait une sécheresse jamais vue, alors que n'importe quel spécialiste explique qu'effectivement São Paulo traverse une sécheresse, mais qu'elle n'a rien d'exceptionnelle. 

Pour compliquer les choses, les chiffres sont délibérément manipulés pour ne pas affoler la population. En effet, le réservoir de la Cantareira est déjà en train de fonctionner sur le deuxième volume de réserve, autrement dit il fonctionne avec un niveau négatif, puisque sous le volume utile de fonctionnement (en dessous du quel il faut pomper pour pouvoir capter l'eau résiduelle). Depuis quelques mois, la presse a commencé à modifier la manière de présenter le niveau du réservoir. Avant il était indiqué que le volume était celui de la deuxième côte de réserve, à présent le volume montré englobe les volumes de réserves comme s'ils étaient parties du volume utile de fonctionnement. Par ce tour de passe-passe, les chiffres ne paraissent plus si alarmistes et personne ne se préoccupe trop.

Il y a encore 2 ans, le niveau du sytème Cantareira était à 60%, en deux ans le réservoir s'est vidé et pendant ce temps aucune mesure n'a été prise. La Sabesp a continué à facturer, à redistribuer les dividendes aux actionnaires alors que n'importe qui pouvait déjà voir la catastrophe arriver. Malgré tout, rien a été fait et on a laissé la réserve se vider. Aujourd'hui, alors que le gouvernement d'état semble se péocuper du problème, les marges de manoeuvre sont bien faible. Que rationner quand il n'y a déjà plus rien?

Est-ce grave?

Pour le moment, le sujet n'est plus trop abordé depuis les dernières pluies qui ont soulagé les réservoirs. Seulement la période annuelle sèche commence maintenant et les niveaux sont bien plus bas qu'au début 2014 qui fût l'année la plus critique.

La Carta Capital a révélé que l'armée s'est réunie il y a quelque semaine pour évoquer le déploiement des forces armés sur São Paulo en cas de crise grave. Les hauts responsables avaient probablement en tête les dernières émeutes à Itu suite à plusieurs mois sans eau. Les habitants ont dû pendant des jours aller chercher l'eau dans les ruisseau environnants. Quand les camions remplis d'eau sont arrivés, les habitant les ont pris d'assaut en attaquant les forces de l'ordre qui les protégeaient.

Personnes aujourd'hui n'est en mesure de prévoir ce qui va se passer. Si l'eau vient à manquer, ce sont 20 millions de personnes qui vont devoir faire sans eau. Qui sera capable de gérer une telle situation?

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