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Billet de blog 23 mai 2023

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LA 5ème RÉPUBLIQUE EST MORTE MAIS ELLE BOUGE ENCORE

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

LA CONSTITUTION DE LA 5ÈME, ARME ULTIME DE L'OLIGARCHIE

Les mois qui viennent de s’écouler nous enseignent quelque chose d’essentiel : une loi injuste, défavorable au peuple et rejetée activement par une large majorité des français a pourtant été promulguée en toute légalité,  simplement parce que la Constitution actuelle, datant de 1958, le permet. Il se vérifie ainsi  que cette Constitution n’est pas celle du peuple puisqu’elle est l’ultime argument brandi pour lui imposer la   volonté de l’exécutif sans recours possible. Comment tolérer plus longtemps qu’une réforme inacceptable puisse  s’appliquer grâce à une boîte à outils constitutionnelle forgée il y a 65 ans dans les  conditions très particulières de la guerre menée en Algérie par les dirigeants  de la 4 ème République, sous la menace d’un coup d’Etat militaire mené par  quelques généraux d’extrême droite? 

La constitution de 1958 dispose d’un arsenal de dispositions qui ont pour fonction de réduire le pouvoir du législatif et du peuple, en renforçant considérablement les pouvoirs de l’exécutif et du président de la république, avec entre autres le pouvoir de dissoudre l’Assemblée Nationale, la fin de la  pré-éminence de la loi sur le règlement… Elle a été faite pour cela à l’époque et  au nom de circonstances exceptionnelles. Mais déjà la  justification invoquée n’était qu’un prétexte,  la volonté profonde de l’élite bourgeoise étant depuis toujours d’ infliger au peuple français un  exécutif fort  dès qu’elle en a  la possibilité,   idée bien  présente chez elle  et  depuis très  longtemps, en 1848 déjà, puis en 1871, enfin en 1940 avec les pleins pouvoirs données à Pétain. Dès la Révolution, une fois le sytème monarchique défait, les représentants de l’élite bourgeoise de l’époque, ceux qu’on a appelé les Thermidoriens, tous bons possédants,  effrayés à l’idée d’être obligés de tenir compte des aspirations du peuple et encore moins d’y obéir, mirent un  coup d’arrêt fatal en juillet 1794 à la dynamique révolutionnaire, ce qui conduisit au Directoire et à Napoléon! Conséquence, et non des moindres :  la constitution de 1793, la plus démocratique des constitutions que la France ait connue, ne fut jamais appliquée.

 On  peut constater encore aujourd’hui à quel point cet appareillage constitutionnel  fonctionne bel et bien en faveur  du pouvoir « jupitérien » de Macron,  lui-même au service d’intérêts puissants et mondialisés.  
 Déjà en 2008 le rejet  par les deux assemblées réunies de la volonté exprimée par le  NON au référendum en 2005, avait  montré la perversité du système de la 5eme, le président ayant de fait  prééminence sur les assemblées et ces dernières  prééminence sur le peuple. Quelle valeur alors peut-on encore accorder à la souveraineté du peuple, qui  selon   l’article 3 de la  constitution  « s'exerce par ses représentants  et par la voie du référendum »? Le titre premier de la Constitution s’intitule « De la souveraineté ». Son article 2 dit que le principe de la République est « le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple ». Le mot peuple est  répété pour affirmer que le peuple depuis la Révolution  est le souverain. La suite de l’article 3  insiste : « Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice ». Or ce beau discours  est battu en brèche par tout le reste de la Constitution. 

Le souverain c’est celui qui décide en dernier ressort. Dans une République qui se veut  démocratique c’est le peuple qui doit avoir le dernier mot. L’expérience  montre qu’on ne doit  pas laisser à quelques-uns le pouvoir de décider de choses qui par leur importance  ont des conséquences directes et profondes dans la vie de tous les jours. Rappelons simplement pour illustrer ce fait que l’espérance de vie en bonne santé est de 59 ans chez les ouvriers! On est bien loin là des discussions interminables sur la « pénibilité »,  qui masquent les effets réels de l’exploitation au travail dans nos sociétés « avancées »!  Heureusement que tout  ce qui est pénible dans la vie est loin d’être toujours mortel…


ACCEPTER D’ÊTRE DÉPOSSÉDÉ DE SA SOUVERAINETÉ C’EST PERDRE SA LIBERTÉ

Quand sa  souveraineté est bafouée, sa volonté contournée, le peuple n’a d’autre choix que de s’assembler pour inventer les règles d’un nouveau contrat social, définir une autre orientation, d’autres façons d’organiser l’exercice des différents  pouvoirs, ou alors de se soumettre, c’est-à-dire d’accepter l’inacceptable. 
Pour arrêter  le pouvoir exorbitant donné à l’exécutif il faut changer de constitution, en écrire une autre. Cette nouvelle constitution devra s’attacher à mettre en pratique la souveraineté du peuple. La situation actuelle nous y invite.

En effet à quoi assistons nous sinon à la fin du règne de la 5ème République voulue par De Gaulle? Le modèle technocratique et vertical de gouvernement qu’à institué la Constitution de 1958 n’a fait qu’accentuer au cours des années  le caractère  foncièrement  autoritaire de ce régime politique. Au nom de la lutte contre l’instabilité du régime parlementaire issu de l’après-guerre, De Gaulle a affaibli  durablement le rôle de contrôle de l'exécutif que pouvait constituer l’assemblée nationale. Pour De Gaulle un bon  parlement était un parlement soumis. La preuve par l’article 12 qui donne au « chef de l’Etat » le pouvoir de dissoudre l’Assemblée Nationale.   Ce faisant la Constitution  a rendu impossible toute évolution dans le sens du contrôle démocratique du peuple sur ses mandataires, les élus, contrôle qui est le  seul moyen, avec les référendums,   de surveiller  efficacement  l’exécutif et ses prévisibles abus de pouvoir.                                                                                                                               

Depuis 1958,  les 24 révisions de la constitution ont au contraire amplifié  la  tendance autoritaire  et contribué à la disparition  du caractère  politique sans laquelle une société n’est rien d'autre qu’une somme d’individus, sans dynamique propre, où l’intérêt général est disqualifié. Une société prête à devenir  la proie des intérêts particuliers et  des grandes puissances privées.                                                                                                                    

Le référendum étant désormais interdit ou presque, les « représentants du peuple » se voyant disqualifiés, que reste-t-il au peuple pour s’opposer à l’arbitraire d’un exécutif  désormais asservi aux "lois économiques"  d’un néo-capitalisme obsédé par la course aux  monopoles privés et à  la marchandisation de tout ce qui peut l'être? On en voit les effets aujourd’hui avec ce personnage sans scrupules qu’est Macron, parfaite incarnation de la dégradation de ce système.    
                                                                                                                                 
La perte de souveraineté que nous subissons va de pair avec l’affaiblissement du caractère démocratique de nos sociétés. Souveraineté et démocratie sont les deux faces d’une même médaille. Laisser dans les mains de quelques-uns la clef des décisions importantes entraînent la perte de notre indépendance énergétique, la dégringolade de nos industries, de notre agriculture, etc.  

Le  parlement et le peuple étant mis de coté, les décisions sont prises par un petit cénacle lié et subordonné à une technocratie européenne qui, par construction, ne tient aucun compte de la volonté des peuples et imprime sa marque sur nos comportements et sur nos vies,  comme l’a montré entre autres la commissaire Von der Leyen dans la gestion des contrats pour les vaccins Pfizer, ou encore l’introduction d’un passeport numérique sous couvert de crise sanitaire, la décision en liaison avec l’OTAN de livrer des armes à un pays en guerre sans consulter les populations ni passer par les parlements, …etc. etc.
 

VERS UNE ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE D’INITIATIVE POPULAIRE  

Un des enjeux principaux d’une nouvelle constitution est de savoir si elle procède  d’une  dynamique constituante venant  du bas ou au contraire d’un travail fait par quelques-uns, experts supposés de la chose. La Constitution de 1958 a été écrite rapidement et à l’abri des regards par quelques personnes autour du Général De Gaulle. 
Le second enjeu, déterminant, est de savoir quelle sera son orientation, car aucune constitution n’est neutre. Sera-t-elle démocratique et populaire ou technocratique et favorable aux couches les plus aisées de la population, c’est-à-dire à une minorité? On voit bien que l’oligarchie n’a pas intérêt à un mouvement qui s’inscrirait   dans la durée et impliquerait le maximum de citoyens dans son élaboration. Elle fera donc tout pour l’empêcher, l’invisibiliser ou le discréditer. 

La classe politique et les partis n’y verront leur intérêt que si le processus populaire est déjà amorcé et devient crédible. Ils chercheront alors à faire valoir leurs idées, ce qui peut avoir des effets négatifs mais aussi comporter des aspects positifs, d’autant que la dynamique enclenchée provoquera des évolutions et des renouvellements, au moins pour certains d’entre eux. 

Enclencher une dynamique constituante  implique une sensibilisation à des questions que les commentateurs autorisés  et les politiques vont  s’appliquer à rendre plus difficiles  qu’elles ne le sont en réalité,  de façon à intimider et à décourager le peuple. D’un autre coté il est certain que rien ne sera obtenu sans effort, sans que des  français de plus en plus nombreux ne deviennent citoyens actifs et que que les futurs candidats constituants se forment à ces questions,  se proposent eux-mêmes ou soient désignés le moment venu par les assemblées locales constituantes. 

COMMENT IMPULSER CETTE DYNAMIQUE ? 

Le peuple  n’est souverain que sur le papier. En théorie il  a  le pouvoir constituant, encore faut-il qu’il puisse l’exercer! Or les institutions actuelles ne le permettent pas. Seul le peuple en mouvement peut résoudre la contradiction en se rendant  capable d’agir sur le cours des choses de façon permanente. C’est en acte que le pouvoir constituant du peuple réalise  la souveraineté. 
Reste à mettre cela en œuvre. Qu’est-ce qu’une constitution? Quelle  constitution? Qu’est-ce qu’une assemblée constituante? Qu’est-ce que des constituants et comment le devient-on? Qu’est-ce que le pouvoir constituant ? Voilà entre autres  les questions qui se posent et doivent être débattues. 

Rien ne pourra donc se faire sans des groupes locaux constituants ouverts à  tous ceux qui souhaitent y travailler activement, et une coordination de ces groupes au niveau national. Ces comités s’attacheront à susciter les débats autour de trois thèmes :
- La définition des nouveaux droits opposable à inscrire dans la nouvelle constitution. 
- Quel type de régime politique nouveau pour satisfaire le besoin de  démocratie tout en   répondant aux besoins vitaux du peuple depuis trop longtemps négligés?
- Comment préparer les travaux d’ une Assemblée nationale constituante? 

La 1ère tâche est de rendre effectifs des  droits qui sont proclamés mais le plus souvent peu,  mal ou pas appliqués. Droit à un revenu décent, au logement, au travail, à la santé, à l’éducation, à une vie notamment familiale en dehors de l’emploi, à la sécurité, à un environnement sain, etc. Tous ces droits doivent être suffisamment détaillés et  explicites afin de correspondre aux  situations concrète les plus courantes,  ce qui suppose de  faire  appel directement aux citoyens pour établir avec eux des cahiers ou des brouillons constituants.   
C’est à la population elle-même de définir le socle minimal permettant pour chacun  une  vie   digne de ce nom. Par exemple : qu’est-ce qu’un revenu décent, un logement, un travail décent… ?  Le rôle des groupes constituants étant de susciter des réunions locales régulières pour avancer dans la  définition de ces droits, puis d’en faire des synthèses, des projets constituants et revenir les proposer à des assemblées locales élargies pour les valider. Les mêmes  procédures  s’appliquent  à la définition des nouvelles institutions et de l’organisation des pouvoirs publics pour que l’exigence de démocratie soit mise au premier plan à tous les niveaux. 

La classe politique néglige la question de la Constitution, considérant pour certains  que la question est réglée par l’actuelle Constitution puisqu’elle si excellente qu’il suffirait de la réviser de temps en temps! On a vu précédemment ce que  ça a donné, c’est la pente vers le pire!  D’autres estiment que  la seule question qui vaille la peine est celle des mouvements sociaux et de la  traduction politique qu’ils entendent eux-mêmes leur donner. C’est  une erreur car en fait constitutions et mouvements sociaux  sont intimement  liés dans l’histoire, notamment  en France, pays qui a connu pas moins de 15 constitutions depuis celle de 1791. Peut-on concevoir  un projet de société radicalement  neuf sans écrire une constitution? 

Il ne s’agit pas non plus de croire qu’une constitution  se résout à des questions juridiques. C’est un domaine éminemment politique. Les connaissances historiques et juridiques en la matière  doivent être mises au service d’un choix de société, car une constitution  c’est ce  qui nous constitue comme peuple politique. 
Il n’est  pas plus question de mettre en place un contrôle de constitutionnalité,  ni à priori,  ni à posteriori,  comme c’est le cas dans la tradition anglo-saxonne où le souverain, c’est-à-dire  le pouvoir constituant, est par principe limité par le droit. Ce serait nier ou affaiblir  le processus constituant d’initiative populaire que nous recherchons. 
La nouvelle Constitution  doit évidemment traiter des institutions, du type de régime politique qu’on veut, de la répartition des pouvoirs et de leurs rapports  mutuels, etc. Mais elle doit avant tout sanctuariser les droits fondamentaux qu’une société  entend mettre en oeuvre  pour un moment historique donné.

PERSPECTIVES POLITIQUES

Enfin on voit bien qu’aucune perspective politique n’emporte l’adhésion d’une majorité.  Sur la scène politique s’agite des forces, minoritaires dans l’opinion, qui s’opposent pour le pouvoir sans qu’aucune d’entre elles n’entraîne l’adhésion au-delà de sa sphère d’influence. La décomposition des partis politiques traditionnels au lieu de conduire à un  renouvellement des forces politiques favorise au contraire l’exacerbation des ambitions personnelles au sein de groupes autocentrés, transformés en appareils à usage électoral, occupés à résoudre leurs  divisions internes et à soigner leur image soit « d’opposant »soit de « serviteur responsable de l’Etat ». 

Le peuple  n’est pas dupe et  se désintéresse majoritairement de ces jeux stériles. Ainsi aux législatives de 2022 le score additionné des 3 principales formations politiques représentait plus de 87% des  votants, mais seulement  37% des inscrits, pendant que les abstentionnistes  se comptaient au nombre de 53,7%,  à quoi il faut ajouter les votes blancs et nuls et une bonne partie des non-inscrits. Le fossé s’agrandit entre le peuple et les « élites » sans que des analyses sérieuses des raisons qui expliquent cela ne soient proposées, ni par les médias, ni par les partis ou les syndicats, ni par les « élus du peuple ».  Pourtant la partie très importante de la population aujourd’hui invisibilisée et méprisée par les médias bien-pensants, constitue la force potentielle d’avenir. C’est à partir d’elle que peuvent se construire des forces politiques nouvelles, c’est-à-dire tous ceux qui de fait sont hors du champ politique, hors du système, par dégoût, exaspération et mécontentement vis- à-vis de la classe politique actuelle. 

En l’absence aujourd’hui d’un projet politique alternatif, seul un programme constituant autour d’un projet de société issu du peuple peut unir les couches sociales dominées, c’est-à-dire l’écrasante majorité, car les luttes partielles, les mouvements particuliers, légitimes mais  éparpillés, s’essoufflent, malgré leurs efforts, dans des  tentatives illusoires de convergence.

Intéresser et mobiliser la population aux enjeux d’une nouvelle constitution, c’est faire confiance à sa  capacité d’agir et pas seulement en réagissant au cours de  périodes électorales courtes et  propices  aux manœuvres individuelles et partisanes de toutes sortes. C’est créer les conditions pour qu’un nouveau contrat social s’invente, pour  que  la liberté des citoyens s’exprime régulièrement à travers des référendums, pour que  les politiques sociales et économiques fassent l’objet de débats larges et contradictoires dans la société, pour que  les innovations sociales et concrètes  de la société civile viennent enrichir l’intelligence collective. 
Faire naître de nouvelles institutions développant toutes les formes de solidarité et construire les conditions pour  que le travail de chacun profite à tous équitablement est une perspective qui devrait emballer, notamment la jeunesse. 

16/05/2023
Jean-Louis  Brunati

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