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Billet de blog 1 septembre 2022

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CE VENDREDI 27 MARS 1942, suite

5. Caravane

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« Tout à l'heure, le train qui coupe en deux les paysages, nous t'aura reprise. Et de voir devant moi cette grande enfant turbulente, cette jeune fille d'hier, cette femme-enfant d'aujourd'hui, adorable réincarnation des plus pures héroïnes de Dickens, me trouble jusqu'au fond du cœur »
Pierre Heuzé, à propos de l’actrice Corinne Luchaire, fille de son ami Jean Luchaire (Ciné-Mondial. n°30. 15 mai 1942)


Revenons ou, plutôt, allons jusqu’à ce vendredi 27 mars 1942 où les Actualités Mondiales rendaient compte du départ « des vedettes ».  
Paraît ce jour-là, le numéro 31 de l’hebdomadaire « Ciné-Mondial ».
C’est en page 2, parmi un fatras de brèves (le possible retour en France de Michel Simon, Pierre Renoir tourne dans un nouveau film, Raimu se dit encore plus avare qu’on le murmure, la chanteuse Léo Marjane va débuter au cinéma, etc). Cela s’intitule :

 « EN ROUTE POUR BERLIN !  »
Cela commence en redondant ce qui a été écrit ailleurs :
« Après les écrivains et les artistes, des vedettes et des cinéastes français sont partis en voyage d’études pour Berlin, où ils seront reçus officiellement par le grand metteur en scène Carl Frohlich, président de la Chambre cinématographique du Reich. La caravane se compose des vedettes Danielle Darrieux, Viviane Romance, Junie Astor, Suzy Delair, Albert Préjean, René Dary…
Puis, du nouveau :…du scénariste André Legrand et de notre rédacteur en chef Pierre Heuzé. Le docteur Diedrich, chef de la section cinéma de la Propaganda-Abteilung à Paris accompagne nos compatriotes et les guidera au cours de leur voyage qui revêtira un caractère officiel et prévoit de nombreuses réceptions...

Mais ça se termine par la formule déjà consacrée :
…Ambassadeurs de notre nouvelle production, les membres de cette expédition présenteront plusieurs films français et visiteront les principaux centres du cinéma allemand à Berlin, Vienne et Munich ».
Notons néanmoins : « ambassadeur de notre nouvelle production »
Les photos sont signées Nick de Morgoli, le reporter-photographe de « Ciné-Mondial ».
L’une d’elles, comme déjà vue, a pour légende : « Le train des vedettes quitte Paris. Danielle Darrieux, Viviane Romance et Suzy Delair s’amusent déjà des blagues d’Albert Préjean ».  
Dans une seconde Danielle Darrieux assise dans un wagon-lit, entourée de ses bagages, tient une boite cartonnée de pâtissier sur les genoux :
« Danielle Darrieux semble toute songeuse, entre ses valises…mais pour elle aussi on a pensé aux provisions de bouche »
Sur une troisième, Junie Astor, est debout et René Dary, assis. Ils dégustent des bonbons dans un compartiment :
« Junie Astor et René Dary ont emporté des provisions de bonbons. On passe le temps comme on peut…et cette façon ne semble pas leur déplaire »
La dernière nous présente, un des « nouveaux partants » Pierre Heuzé. Dans un compartiment, assis à côté de Préjean, il lit, avec l’acteur ce qui ne semble ni un journal ni un magazine :
« Quant à notre rédacteur en chef, il entretient déjà Albert Préjean de graves projets. Les journalistes n’oublient pas le « métier » 
Pierre Heuzé, n’est autre que celui, qui, aux « Actualités », à la suite d’Albert Préjean, entrait précipitamment sur le quai de départ de la gare de l’Est, avec un journal pour seul bagage. On le remarque également, à Berlin, sur les photos de « Paris-Soir » et « Le Matin » du 26 mars, surveillant de près les « artistes » assis devant leurs compatriotes émigrés.
Une fois la « caravane » revenue, il contera le périple de ces « ambassadeurs de notre nouvelle production », en dix chroniques hebdomadaires, aussi étalées que complaisantes, du 10 avril au 16 juin 1942, du numéro 33 au numéro 42, dans ce « Ciné-Mondial » qu’il dirige.
Ses choses vues et entendues pour le moins très partiales et subjuguées demeurent pourtant l’une des deux uniques témoignages, voire une source possible « d’infos », de cet aller et retour en Allemagne. Le second retrouvé récemment, tiré d’un autre membre de la délégation-discret celui-ci, car repenti-ne sera jamais révélé, si ce n’est que très partiellement, dans un ouvrage paru en 2017 (x)   
« Ciné-Mondial », est financé par l’occupant sous couvert des Editions du Pont, rachetées par un nazi alsacien Gerhard Hibbelen et proche de l’ambassadeur Otto Abetz. Le groupe Hibbelen, profitant de l’aryanisation de la presse et de l’édition, entamée dès l’automne 40, par Vichy et les allemands, va vite se retrouver propriétaire de la moitié des titres de la zone occupée. Officiellement, l’hebdo est dirigé par un certain Robert Muzard. Ce Muzard s’avère une sorte de rareté pour l’époque. Il va, en effet, devenir, le producteur de la sans doute seule société cinématographique ouvertement collaborationniste « Nova-Films ». Les « Monsieur Girouette » (1942) de Pierre Ramelot, « Forces occultes » (1943) de Paul Riche, dénoncent le complot judéo-maçonnique, et « Les Corrupteurs » (1942), également de Pierre Ramelot, s’en prend au péril juif.
Par son côté grand public, « Ciné-Mondial » apparaît ou se veut comme le successeur du célèbre « Cinémonde », né en 1928 et disparu le 12 juin1940 (n°605).  Abetz, Hibbelen, Muzard vont nommer Pierre Heuzé rédacteur en chef, sur les conseils avisés de Jean Luchaire, chez qui il a ses entrées, un hôtel particulier avec jardin, bordant le parc Monceau.
Le premier numéro de Ciné-Mondial paraît le 8 août 1941. Exactement une semaine avant la sortie (14/08) de « Premier Rendez-vous ». Justement, le premier film produit par la Continental-Films, société française à capitaux allemands (nazis précisément) créée sur ordre de Goebbels et dirigée par le nazi Alfred Greven. Le film de Henri Decoin, avec Danielle Darrieux pour vedette (elle est en couverture de l’hebdo), est présent sur cinq des seize pages que contient ce journal. Trois autres sont réservées aux productions allemandes. Le docteur Diedrich, cité plus-haut, chef du Referat (groupe) film, la section cinéma de la Propaganda-Abteilung, y a ses entrées.
Voilà la Caravane est au complet, enfin presque…

A suivre…

(x) Christine Leteux. Continental-Films : Cinéma français sous contrôle allemand. La Tour Verte. 2017.

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