Vendredi 29 mai 2015, Alan Rusbridger a rédigé son dernier éditorial en sa qualité de directeur de la rédaction du Guardian et de sa sunday sister, The Observer. Arrivé au célèbre quotidien britannique en 1979, après un passage de deux ans au Cambridge Evening News, il fut confortablement élu au poste de directeur en 1995. Inutile de chercher, dans cet ultime article de Rusbridger, quelque trace que ce soit d’autoglorification ou d’autosatisfaction, le bilan tracé l’est sous l’angle du travail collectif et au nom de l’indépendance journalistique et de la liberté. De prime abord c’est simplement écrire qui le passionnait, mais, une fois installé dans sa profession, il a été un défenseur infatigable, ardent, altruiste et noble de de l’indépendance du journalisme d’enquête et du Guardian Media Group, contre les vents et marées du monde politique et de l’establishment, résistant à toutes les pressions comme un authentique gentleman.
Né en 1953 à Lusaka, en Rhodésie du Nord, actuelle Zambie, ex-protectorat britannique où son père occupait la fonction de directeur général de l’éducation, Alan Rusbridger suivit son parcours primaire et secondaire au Royaume-Uni, où la famille retourna vivre en 1958. Les études supérieures entreprises au Magdalen College de Cambridge le conduisirent jusqu’à l’équivalent de la maîtrise — Master of Arts — de littérature anglaise. Après son passage au CEN, c’est au sein du groupe Guardian que sa notoriété se développa. Au terme d’une courte période de critique de télévision pour The Observer, Rusbridger créa, en 1988, le supplément Week-End du Guardian et le désormais célèbre G2. Cette initiative brillante et couronnée de succès lui conféra, au sein du quotidien, une aura et un respect qui expliquent aisément et très largement son élection à la direction en 1995.
La grande force de Rusbridger est d’avoir fait passer le Guardian du statut de family firm, selon l’image qu’il utilise lui-même à celui d’un organe de presse reconnu, respecté et cité dans le monde entier. Le bilan de son mandat est tout à fait exceptionnel. Du lancement du site guardian.co.uk devenu theguardian.com, le deuxième site de langue anglaise le plus fréquenté après celui du NYT, jusqu’au choix du format berliner pour la version papier, en passant par le lancement de l’édition australienne du Guardian, projet mené à bien par Katharine Viner, adjointe de Rusbridger, qui va désormais lui succéder, sans oublier la remarquable rubrique ouverte aux blogs de la rédaction et des lecteurs, commentisfree. Mais, bien évidemment, les actes de bravoure à l’actif du Guardian et d’Alan Rusbridger demeurent à ce jour d’une part la publication des Wikileaks et le soutien apporté à Julian Assange puis à Edward Snowden, d’autre part le refus catégorique de livrer au gouvernement conservateur dirigé par David Cameron les documents Wikileaks — Alan Rusbridger a préféré faire détruire les disques durs plutôt que de les donner à la commission parlementaire — que les Tories demandaient.
C’est un exemple de probité et d’indépendance qui tire sa révérence, en toute simplicité, sans tirer la couverture à lui.