De son vrai nom Balthazar Klossowski, le peintre Balthus aurait eu 100 ans en cette année 2008. C'est la raison pour laquelle la fondation Gianadda de Martigny, au cœur du Valais suisse, a décidé de lui consacrer une exposition rétrospective qui a commencé le 16 juin et qui s'achèvera le 23 novembre. Comme il a vécu une grande partie de sa vie en Suisse, qu'il vénérait, et qu'il y a terminé ses jours, plus particulièrement à La Rossinière, une fondation lui est dédiée, dont on peut visiter le site. Il convient, aussi, de lire l'excellent article que Vincent Noce a rédigé dans Libération du 29 août.
Balthus, en dehors de sa déroutante fascination pour les chats, est un maître incontesté de la lumière et des contrastes. C'est aussi un maître incontesté de l'ambiguïté. Ses personnages féminins sont à la fois déconcertants et troublants. La femme, chez Balthus, n'atteindra que très rarement – quelques tableaux seulement – l'âge adulte. Elle demeure figée entre enfance et adolescence pré pubère, dans des positions bizarrement suggestives qui donnent au visiteur la désagréable sensation de sombrer dans le voyeurisme, comme en témoigne Thérèse rêvant, tableau de 1938 devenu l'affiche de l'exposition. Les paysages et les arrière-plans délivrent, en revanche, une sérénité et une douceur incomparables.
Ceci étant dit, les spécialistes de Balthus parmi les abonnés ne manqueront pas de compléter, le frontalier voisin et fidèle de la fondation Gianadda ne peut manquer de ressentir une certaine déception, au fil des années. Devenu un phare de la vie culturelle et artistique de nos voisins helvètes, la dite fondation, bien qu'elle ait organisé depuis une quinzaine d'années des expositions remarquables, semble s'essouffler et atteindre ses limites. En effet, il apparaît clairement que la réputation est due au site tout simplement magnifique de Martigny, à une exposition permanente sur Léonard de Vinci et à un jardin très original, où trônent des sculptures et des œuvres de renom, parmi lesquelles une mosaïque superbe de Chagall. Car le musée en lui-même ressemble plutôt à une sorte de bunker où la lumière est rare, domaine dans lequel Gianadda ne peut supporter la comparaison avec ses lumineuses et grandioses rivales que sont les fondations Beyeler à Bâle et L'Hermitage à Lausanne.
Le recul et la distance ne sont guère possibles, ce qui rend impossible l'appréciation de certains tableaux. En l'occurrence certaines œuvres de Balthus ont été très mal placées, l'une d'entre elles étant même sous verre et sous deux projecteurs, ce qui la rend invisible et illisible et donne au visiteur l'éphémère illusion qu'il est devenu lui-même une œuvre d'art. La fondation est quadrillée de cerbères qui semblent issus soit d'un roman de George Orwell, soit d'un musée de l'ex-URSS, et à qui on n'a pas envie de demander quoi que ce soit, pas même l'heure, ce qui est un comble en ce pays.
Enfin, circonstance aggravante, le prix de l'entrée est en augmentation constante, 20 francs suisses ou 13,50 euros, alors que le franc suisse ne cesse de s'éroder face à la devise européenne. Les amateurs sont invités à régler en espèces ou à payer par carte bancaire. Cette dernière solution est très avantageuse et nettement moins chère, même avec les frais internationaux inhérents à ce type d'opération. Ce détail n'a sans doute pas échappé aux gestionnaires de la fondation. De fait, dès l'entrée de charmantes hôtesses d'accueil font un forcing inattendu, pesant et très désagréable pour dissuader le touriste de passage à payer par carte. N'oublions pas que nous sommes dans la Confédération. L'art, c'est l'art et la gestion, c'est la gestion, et, dans ce domaine il ne faudrait surtout pas prendre l'Helvétie pour une lanterne.