Chigalev est un des personnages des Possédés de Dostoïevski (il semblerait, d’après les spécialistes, qu’en raison d’une mauvaise traduction initiale il convienne désormais de dire Les Démons). Il fait partie du groupe des conjurés dans le roman de Dostoïevski. Chigalev, donc, est un philanthrope d’un genre un peu particulier, puisque, comme le souligne Albert Camus, dans L’Homme Révolté, plus particulièrement La Révolte Historique (Gallimard, pp-579-582), « Esprit malheureux et implacable, il choisit la volonté de puissance qui est seule, en effet, à pouvoir régner sur une histoire sans autre signification qu’elle-même…l’amour des hommes justifiera désormais qu’on les asservisse. Fou d’égalité, Chigalev, après de longues réflexions, en est arrivé à conclure avec désespoir qu’un seul système est possible, bien qu’il soit désespérant. « Parti de la liberté illimitée, j’arrive au despotisme illimité ». »
Albert Camus détaille ensuite la pensée profonde de Chigalev, en citant un passage du roman de Dostoïevski (p-581) : « Un dixième de l’humanité possédera les droits de la personnalité et exercera une autorité illimitée sur les neuf autres dixièmes. Ceux-ci perdant leur personnalité et deviendront comme un troupeau ; astreints à l’obéissance passive, ils seront ramenés à l’innocence première et, pour ainsi dire, au paradis primitif où, du reste, ils devront travailler. »
A bien observer le comportement politique de Vladimir Poutine, qu’il s’agisse de l’Ukraine, de la Crimée ou de la Syrie, ou bien encore du sort réservé aux opposants, on est en droit de se demander si Les Possédés (ou Les Démons) n’est pas le livre de chevet du dictateur russe. Albert Camus a montré que ce même Chigalev est un personnage totalement dogmatique qui est persuadé que tous les autres sont dans l’erreur et que lui détient la solution, la vérité donc. Pour Gilles Lapouge, dans Utopie et Civilisations, Chigalev est convaincu que (p-255) « tous ces penseurs occidentaux ont été des rêveurs, des diseurs de contes de fées, des niais qui se contredisaient eux-mêmes, n’entendaient rien à la science naturelle de cet étrange animal qu’on appelle l’homme ».
Reste une très mince consolation, Chigalev, lui, est un personnage de fiction, contrairement à Poutine…