Le 2 décembre 2007, peu après 7h du matin, je petit-déjeunais, parce que ce n’est pas pour me vanter comme dirait l’excellent Philippe Meyer, mais je petit-déjeune. Rassurez-vous, je ne vais pas vous raconter ma vie, ce qui n’aurait strictement aucun intérêt, ni vous donner le menu de ce petit-déjeuner-là quoique…, mais vous dire ce que j’ai entendu, voilà l’intérêt majeur. J’écoutais France-Inter, en ce temps-là, d’abord parce que la tranche matinale était présentée par l’excellent Nicolas Demorand, ensuite parce que cette station n’était pas encore au service de l’actuel présumé président de feu la République.
Nicolas Demorand avait pour habitude, après le journal de 7h, de délivrer une sorte d’éditorial pertinent et ouvert sur la culture, la société, la politique et les media. Et justement, ce matin-là, le 2 décembre 2007, l’anchorman du matin annonce la création d’un journal en ligne qui sera libre de toute dépendance économique et politique. Ce journal va s’appeler Mediapart. L’idée émane d’un groupe conduit par Edwy Plenel et elle est née en ce 2 décembre. Demorand donne l’adresse électronique du site. J’avais été un abonné de longue date au Monde et je gardais, comme tous les abonnés et lecteurs, un souvenir exalté de la période où Edwy Plenel a dirigé le journal, qui avait connu une progression sans précédent, et j’avais été, comme beaucoup d’autres, accablé par son départ, signe inéluctable que le regrettable tandem Minc-Colombani avait bradé l’histoire.
Le 4 décembre 2007, je me suis connecté sur le site qui était en construction et je me suis abonné immédiatement. J’ai découvert les vidéos de démarrage qui présentaient le projet et les fondateurs. J’eus le plaisir de découvrir (n’oubliez pas que je suis provincial) les visages de signatures qui m’étaient familières depuis fort longtemps, Laurent Mauduit, François Bonnet. Puis vint en mars 2008 le lancement officiel, celui d’un journal de journalistes, celui d’un groupe qui n’avait, qui n’a d’autre ambition que de servir un métier qu’il aime et qu’il respecte, de servir la démocratie. C’était déjà enthousiasmant, c’est toujours le cas, quatre après.
La première rencontre entre la rédaction et les abonnés fut quelque chose d’inoubliable. Je suis revenu de Paris le lendemain, avec un sentiment de sérénité, de joie intense. Ce fut l’occasion de faire connaissance avec toute la rédaction et l’ensemble de l’équipe, avec les amis de la première heure au sein du Club, inconnus la veille, le noyau dur, Thierry Ternisien – nous sommes arrivés symboliquement en même temps et les premiers, impasse Brulon - Claude Lelièvre, Christine Marcandier, Dominique Bry, Dominique et Hervé Gautier, Grain de sel, Dominique Conil. Certains se sont éloignés, Labul, dont les dessins nous manquent, Tony, dont les billets justes et poétiques nous manquent aussi, d'autres sont arrivés, comme Marie Lavin et bien d'autres. Velveth est parti pour de bon en nous laissant avec nos souvenirs. Autour du projet de Mediapart, je dirais - ça semblera pompeux mais tant pis ! - qu’une famille s’est constituée, avec une identité de vue. C’est-à-dire ce que les spécialistes de l’analyse du discours, que sont Patrick Charaudeau et Dominique Maingueneau, appellent « une communauté discursive à dominante idéologique, productrice de valeurs et d’opinions ». Ces valeurs et ces opinions n’ont certainement pas vocation à devenir des vérités établies, des dogmes, mais des bases de débat pour l’amélioration matérielle et intellectuelle de la société.
Donc, merci Nicolas Demorand, que je ne connais pas et qui ne lira jamais ce billet, à moins que son ami Sylvain Bourmeau, qui l’a rejoint à Libé, le lise et lui dise. Sinon tant pis et merci quand même. Mais surtout merci à Edwy Plenel, Laurent Mauduit, François Bonnet, Gérard Desportes, à Marie-Hélène Smiéjan. Merci à Yolande Laloum-Davidas, qui dirige la communication avec un sourire et une gentillesse permanents. Merci à tous les journalistes, à Géraldine, à Fabrice, Mathilde, Michael, et Stéphane, bien qu’il persiste à soutenir Domenech... Mediapart existe pour notre plus grande satisfaction, le pari est gagné, c’est une référence désormais, contrairement aux sinistres imprécations de la pythie Minc. C’est un espoir quotidien face à une profession journalistique abaissée, dans une République dévoyée. Lorsque j’ai invité Edwy Plenel, il y a deux ans, à venir parler du journalisme et de Mediapart à mes étudiants, une métaphore est revenue fréquemment dans son propos, celle du watchdog « chien de garde », prompt à réagir si la démocratie est menacée. On peut ajouter la métaphore anglaise whistleblower, a person who informs people in authority or the public that the company they work for is doing something wrong or illegal. Des relais donc, des gens, qui informent les autorités ou le public, que l’entreprise dans laquelle ils travaillent fait quelque chose d’illégal ou de contraire à la morale.
Bravo à toute l’équipe de Mediapart, félicitations et merci.