La campagne électorale en vue de l’élection présidentielle ne cesse d’être observée par les media des autres démocraties européennes, en particulier celles d’Europe du nord, avec un mélange d’incrédulité, d’amusement et d’effarement. Au Royaume-Uni, en Allemagne, en Suède, au Danemark, un candidat fortement soupçonné d’avoir détourné de l’argent public à son profit, à celui de son épouse et de ses enfants aurait quitté la scène publique dans l’heure qui aurait suivi les révélations des enquêtes journalistiques, de préférence avec excuses publiques. Mais certainement pas dans la république bananière hexagonale. Fort au contraire, qu’il s’agisse de la candidate d’extrême droite ou du candidat de la droite, il n’est pas question de reconnaître les faits (Fillon l’a fait sans le vouloir) et de se retirer avec ce qui resterait de décence, mais bien au contraire de fustiger « une cabale médiatique », « un assassinat politique », « un cabinet noir » qui s’appuierait sur des fonctionnaires, qui seront châtiés le moment venu, ou bien encore, ce qui constitue, à ce jour, le summum du mensonge haineux « la république des juges ».
Ce sont les mêmes qui dénoncent « une justice laxiste » et insuffisamment punitive pour les petits délinquants, et qui poussent des cris d’effroi et d’indignation lorsque la justice s’intéresse de près à leurs propres dérives. Le message à l’intention des journalistes et des juges est clair : passez votre chemin et laissez-nous faire nos petits arrangements entre amis qui ne vous regardent pas. Depuis quelques jours les appels obscènes à une « trêve judiciaire » ou une « pause » se multiplient dans la camp des tricheurs, qui sont indignés que la justice puisse les concerner comme n’importe quel autre citoyen. En vérité ils dénoncent une imaginaire « république des juges », parce qu’ils veulent préserver leur république des forbans et des laquais.
Le forban, au dix-septième siècle, période où le vocable est apparu dans la langue française, était, selon la définition du Robert et du TILF, « un pirate qui entreprend à son profit une expédition armée sur mer sans autorisation, ni commission, ni lettre de marque d’un souverain ». Par extension du sens, il s’agit également d’un « individu sans scrupules capable de tous les méfaits ». Il semble évident de constater que, si les deux candidats en question étaient soupçonnés d’homicide ou de participation à une attaque à main armée, ils trouveraient le moyen de dénoncer la « république des juges ». Et ces bassesses sont aimablement relayées par les laquais de l’information dans une sorte de baroud d’honneur des gens de maison. C’est ainsi que Super Nestor, abandonné par la maison Lagardère sur le bord de l’autoroute de l’information (lire ici un précédent billet), a été ramassé par la voiture-balai Bolloré, dont la conception de l’information est proche de celle de Trump, et a ressurgi de nulle part pour mener un débat radiophonique visant à dénoncer « la république des juges ». Le voilà désormais fin prêt pour aller finir sa carrière en Turquie ou en Corée du Nord…
* Septième commandement après modification (p-114) comme indiqué dans un précédent billet, pour ceux qui suivent ce blog...
https://blogs.mediapart.fr/jean-louis-legalery/blog/080217/fillon-ministre-de-la-verite-orwellien-et-pathetique