Si Stan Barstow, qui est mort hier en Angleterre à l'âge de 83 ans, était, en dehors du monde des spécialistes, un parfait inconnu de ce côté-ci de la Manche, il était, pour la génération des sixties, un authentique symbole, le dernier des working-class writers du Royaume-Uni avec les défunts John Braine, Keith Waterhouse et Alan Sillitoe. Barstow avait, tout comme les pré-cités, grandi dans l'Angleterre tourmentée de l'entre-deux guerres. Il était né à Horbury, nœud ferroviaire du West Yorkshire à une quarantaine de kilomètres à l'est de Huddersfield. Son père était mineur, sa mère ne travaillait pas, et rien ne le pré-disposait à devenir un romancier célèbre, puisque, comme il le résumait avec humour, there were no writers in the family, and, in fact, very few real readers, personne n'écrivait dans la famille, et, en fait, très peu lisaient vraiment. Une situation bien pire pour Alan Sillitoe, puisque le père, ouvrier métallurgiste, était totalement analphabète.
Contrairement à de nombreux « nordistes » célèbres, tels que David Storey, Alan Sillitoe - qui non seulement s'installa à Londres, mais avait aussi une maison près de Béziers où il adorait séjourner - ou les Beatles, Stan Barstow ne « descendit » jamais à Londres ou plus au sud et resta fidèlement ancré dans son West Yorkshire. C'est sans doute pour cette raison qu'il ne fut jamais, ce qui semble injuste et absurde, assimilé aux Angry Young Men, étiquette dont bénéficia Alan Sillitoe, mais qui naquit de l'influence des « londoniens », dramaturges, poètes et romanciers, tels que John Osborne, John Wain ou Kingsley Amis. Après des études secondaires sans éclat à Ossett Grammar School, Stan Barstow commença à travailler dans une entreprise locale comme dessinateur industriel. Son choix d'écrire fut essentiellement fondé sur un sentiment de révolte devant le désert culturel que subissait sa région natale. En 1951, Barstow sortit de l'anonymat avec quelques nouvelles, mais le tournant de sa carrière arriva en 1960.
Cette année-là, Stan Barstow publia A Kind of Loving, roman qui lui valut un succès énorme et immédiat et qui lui permit de devenir romancier à plein temps. C'était non seulement un roman très bien écrit, mais c'était surtout, à travers l'histoire de ce couple marié sans amour, la consécration de la classe ouvrière, qui, tout à coup, arrivait au premier plan, sous les feux de la rampe. La classe ouvrière n'était plus confinée aux personnages secondaires et résignés de l'arrière-plan, comme dans les romans de D.H. Lawrence, mais elle fournissait, en quelque sorte, les personnages principaux. On faisait sortir le lecteur du salon pour l'entraîner vers l'évier de la cuisine, l'atelier de l'usine et le pub du coin. Non seulement A Kind of Loving était un roman passionnant, mais Barstow eut la chance, tout comme Sillitoe, de bénéficier d'une adaptation cinématographique exceptionnelle, grâce à un réalisateur et des acteurs brillants.
Saturday Night and Sunday Morning fut remarquablement transposé au cinéma par Karel Reisz et superbement interprété par Albert Finney. Il en fut de même pour The Loneliness of the Long Distance Runner, créé par l'excellent Tony Richardson et brillamment joué par Tom Courtenay. Stan Barstow eut la même chance, puisque A Kind of Loving fut adapté par John Schlesinger et interprété par l'inoubliable et regretté Alan Bates et la talentueuse et étonnante June Ritchie, dont on peut regretter que, par la suite, elle ait privilégié la télévision. On rappellera que le talent de John Schlesinger s'étendit à d'autres magnifiques adaptations, parmi lesquelles il faut citer celle du roman de Thomas Hardy Far from the Maddening Crowd, avec encore Alan Bates, Terence Stamp et Julie Christie, qui fit rêver et fantasmer toute une génération de grands bretons et de petits français.
Stan Barstow s'installa donc au sommet de la gloire mais n'abandonna pas pour autant ses racines, ce qui fait de lui un homme à part dans la littérature britannique contemporaine. Avec lui c'est non seulement un talent et une conception de la société qui disparaissent, mais aussi une image forte de l'Angleterre des années 1960, avec une classe ouvrière solidaire, fière, telle qu'on l'aperçoit, par bribes, dans le chef d'œuvre de Michangelo Antonioni Blow Up, et qui n'était pas encore gravement polluée par les épouvantables publications du sinistre Rupert Murdoch.
Dans l'ordre chronologique, on peut également lire de Stan Barstow :
The Desperadoes 1961
Ask Me Tomorrow 1962
Joby 1964
Watcher on the Shore 1966
A Raging Calm 1968
A Season with Eros 1971
The True Right End 1976 (trilogie de A Kind of Loving avec Watcher on the Shore)
A Casual Acquaintance 1976
The Glad Eye 1984
Just You Wait and See 1986
Give Us This Day 1989
Next of Kin 1991
In My Own Good 2001 (autobiographie)
Le Guardian a publié une excellente nécrologie :
http://www.guardian.co.uk/books/2011/aug/01/stan-barstow-obituary
Le Telegraph n'a consacré que quelques petites lignes à Barstow. Quant à l'Independent, pas de trace de Barstow, mais en revanche un long obituary à Albert Ferrasse, ancien président de la Fédération Française de Rugby, chacun ses choix culturels...
Crédit photographique : Duffy/Getty images.