Nous savons, de ce côté-ci de la Manche, que, depuis le 7 juillet 2005 et les attentats terroristes qui ont fait 38 victimes à Londres, la psychose sécuritaire est devenue telle que la capitale britannique a, très certainement, le centre-ville le plus surveillé du monde. Si la profusion de caméras de surveillance a suscité une certaine émulation en France, notamment à Levallois-Perret, et continue de faire rêver la ministre de l'intérieur, elle semble faire partie du paysage urbain du Royaume-Uni, et, si elle engendre des inquiétudes, elle ne soulève pas de protestations majeures.
Trois journalistes du Guardian, Paul Lewis, Felix Clay et Elliot Smith, ont réalisé un reportage vidéo pour l'édition en ligne du 3 mars. Ils se sont rendus au centre de contrôle de Westminster où sont visionnées toutes les images que captent les très nombreuses caméras vidéo qui quadrillent Londres. Là, ils ont donné la parole à Dan Brown, Closed Circuit Television operator supervisor, le policier chargé de la coordination de surveillance. Le moins que l'on puisse dire est que ses premiers mots ne sont guère rassurants : we've got cameras everywhere, we can see pretty everything, nous avons des caméras partout, nous pouvons pratiquement tout voir.
La suite du monologue de ce fonctionnaire de police donne à penser que l'univers dystopique que George Orwell avait imaginé, en 1948, en écrivant son célèbre roman 1984, est en train de prendre corps. Certes on peut aisément comprendre d'une part que la barbarie engendrée par le terrorisme conduise à un besoin de protection, d'autre part que les détails techniques donnés par Dan Brown, notamment le lien radio permanent avec des policiers sur chaque point sensible, correspondent à une nécessité. Mais quand le même Dan Brown évoque l'analyse du body language de chaque promeneur, devenu suspect potentiel, on prend conscience qu'être amoureux et danser de joie autour de Piccadilly Circus peut devenir rapidement une menace pour la sécurité du Royaume. Et on ne peut s'empêcher de penser au héros de 1984, Winston qui, dans la partie I, p. 25 de la première édition de 1949, tourne délibérément le dos au télécran qui le surveille dans son appartement, tout en se remémorant les trois slogans du ministère de la vérité : war is peace, freedom is slavery, ignorance is strength.