A l'heure où l'Europe occidentale fait mine de découvrir, avec effroi, une information disponible depuis plus de six ans, à savoir que les prochains jeux olympiques d'été vont avoir lieu dans un pays qui foule au pied les droits de l'homme et du citoyen depuis des décennies, un néologisme étrange a refleuri dans plusieurs titres de "une" des médias français, boycottage.
Ce qui est surtout étrange c'est l'ajout inattendu d'un suffixe français –age, qui exprime un résultat, au nom commun anglais boycott. Cette suffixation est d'autant plus surprenante qu'elle est relativement limitée. D'autres mots ont traversé la Manche sans aucune adjonction, c'est le cas de kidnap, par exemple, puisqu'on a gardé la forme verbale kidnapping et on n'a jamais, à ce jour, parlé de kidnappage. De plus, en l'occurrence l'économie linguistique adaptée au discours journalistique conduit plutôt à privilégier rapt.
Mais boycott continue sa carrière seul également. C'est certainement l'éponyme, c'est-à-dire le nom propre devenu nom commun, le plus célèbre de la langue anglaise. Charles Cunningham Boycott est né, en 1832, et mort, en 1897, en Angleterre. Capitaine dans l'armée britannique, il prit sa retraite comme régisseur des terres du comte d'Erne, dans le comté de Mayo. En 1880, année où le mot boycottage apparut dans la presse française selon le dictionnaire étymologique Bloch et Wartburg, Charles Boycott fut mis en quarantaine par l'Irish Land League, qui regroupait les métayers irlandais et qui demandait une réduction des loyers aux gentlemen-farmers, dont Boycott faisait partie de fait, puisqu'il représentait les intérêts de son comte de patron. Boycott refusa et fut mis en quarantaine de telle manière qu'il n'eut d'autre issue que de fuir vers l'Angleterre. La notion de boycott, aujourd'hui, répond essentiellement à trois acceptions : le boycott entre Etats, le boycott commercial qui concerne les entreprises et le boycott social.
Dans la première catégorie, l'exemple le plus récent est celui du boycott commercial de l'Irak, à la suite de l'invasion du Koweit, en 1990. En remontant dans le temps, on retrouve deux pays qui font la "une" aujourd'hui : la Rhodésie tout d'abord, actuel Zimbabwe, qui fit l'objet d'une décision de boycott par le conseil de sécurité de l'ONU, en décembre 1966, après que le premier ministre de l'époque, Ian Smith, fit une déclaration unilatérale d'indépendance, UDI, par rapport à la couronne britannique, sans en avoir, donc, informé le premier ministre conservateur, Harold MacMillan ; la Chine ensuite, qui, en 1905, loin de subir comme aujourd'hui, mit en place un boycott à l'égard des Etats-Unis pour protester contre les mesures législatives qui restreignaient l'immigration chinoise. Entre temps, il y eut, en 1948, le boycott décidé par lespays arabes contre Israël, afin de manifester leur opposition à la création de cet Etat.
Dans la deuxième catégorie, l'exemple le plus probant est certainement celui d'Edouard Leclerc, qui, en 1959, a en quelque sorte boycotté les intermédiaires pour faire baisser les prix des produits alimentaires. En 2008, les méthodes de la grande distribution peuvent parfois se situer entre boycott et chantage, selon les associations de consommateurs. Quant au boycott de l'industrie du disque lancé par plusieurs groupes et associations, il prend pour cible le présumé racket dont les major sont accusées.
La troisième catégorie concerne le boycott social et professionnel. Il a pris un tour systématique dans la presse française, notamment dans l'audiovisuel, sous la cinquième république, et a pris le nom de "placardisation". Lorsqu'un journaliste est jugé trop indépendant, trop libre, bref trop enclin à faire dignement son travail, il est boycotté par le pouvoir en place et mis au placard, c'est-à-dire confiné dans des tâches subalternes, qui ne correspondent ni à ses compétences, ni à ses aspirations, et empêché de s'exprimer.
En 1979, lorsque Margaret Thatcher, si émue par les frasques de son fils et si peu par la conviction des militants irlandais, a supprimé, dans l'industrie britannique, le système du closed shop, qui empêchait tout employeur d'embaucher si le candidat n'était pas membre d'un des syndicats locaux, les réactions ont été unanimement positives. Cette procédure ne semblait, en effet, ni limpide ni démocratique, mais sa suppression a conduit à un véritable boycott des organisations syndicales.
Dans les quelques mois qui viennent, si les gouvernements des pays membres de l'Union Européenne ne mettent pas plus d'ardeur à dénoncer les excès du régime chinois, nous pourrions voir surgir de pittoresques oxymores tels que boycott bienveillant ou boycott amical.