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Billet de blog 3 juin 2015

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Royaume-Uni : le passé peu glorieux de la ministre du travail

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Priti Patel est considérée comme une étoile montante au sein du parti conservateur britannique. Elle a 43 ans depuis peu et occupe le ministère du travail, sous la direction de Iain Duncan Smith, depuis la formation du nouveau gouvernement conservateur de David Cameron. Elle a commencé à militer chez les Tories en 1992, à l’âge de vingt ans, lorsque le leader était John Major. Sa première confrontation avec le suffrage universel a été une déroute d’envergure, dans la circonscription de Nottingham North en 2005, un fief travailliste historique, où le sortant Graham Allen a obtenu près de 59% des voix, alors qu’elle totalisait péniblement 18% du scrutin. Pour récompenser cette vaillante combattante, Cameron et les Tories ont créé une nouvelle circonscription, Witham, dans le très chic Essex — le genre de circonscription où un manche à balai (avec poignée en cuir quand même) serait élu — et, donc, en 2010, Pratel y a été élue avec une avance confortable avance (58% des voix contre 16% à son adversaire UKIP), puis réélue en 2015 avec 52% contre 19% à son adversaire LibDem. Lors de son premier succès, elle fut aussitôt promue secrétaire d’état au Trésor. 

Tout semblait donc aller pour le mieux dans le meilleur des mondes pour cette jeune femme au destin peu banal. Elle est née à Londres de parents indiens issus de la minorité Gujarati (dont Gandhi fut un membre éminent) installée en Ouganda depuis plusieurs générations et chassée de ce pays, au début des années 1960, par l’abominable et tristement célèbre Idi Amin Dada. Tout semblait aller pour le mieux, donc, jusqu’à dimanche dernier, 31 mai, jour où l’hebdomadaire du groupe Guardian Media Group, The Observer, a publié une enquête édifiante fort révélatrice sur cette même Priti Patel, enquête approfondie qui fait voler en éclats le mythe de la jeune étoile montante issue de l’immigration, altruiste et pleine d’ambition pour son pays, le Royaume-Uni. D’après le travail approfondi de Jamie Howard, que l’on peut lire intégralement ici, le moins que l’on puisse dire est que l’actuelle ministre de l’emploi a choisi et pratiqué une activité dont l’éthique est peu conforme à ce que l’on attend d’un futur élu.

Entre 2000 et 2005, Priti Patel a fait partie d’une équipe de spin-doctors * embauchés et rémunérés par Shandwick, filiale de BAT, British American Tobacco. Le but de toute cette équipe, et donc de Priti Patel, était de contrer la publicité négative faite contre l’usage du tabac. La tâche de l’actuelle ministre de Cameron était de faire pression sur les députés européens pour qu’ils ne votent pas les mesures anti-tabac prévues par l’UE. Outre le trafic d'influence avéré, l’affaire se corse quand on sait d’une part que BAT fut le client de la Birmanie, dictature notoire dont cette multinationale du tabac a fait la fortune — Total doit se sentir moins seul…—, d’autre part que BAT avait des plantations également au Nigeria, où des enfants de sept ans travaillaient à la collecte dans les fermes à tabac. Dans ces mêmes exploitations les ouvriers nigérians étaient payés l’équivalent de 15 livres sterling par mois, alors que, dans le même temps, Priti Patel et ses petits camarades spin-doctors amassaient autour de 16.500 livres sterling chaque mois. Sollicitée par l’Observer, l’actuelle ministre du travail n’a pas voulu commenter cet étrange choix, qu’il serait abusif de classer dans les erreurs de jeunesse.

En effet, Priti Patel se situe à la droite du parti conservateur. Elle a pris position contre le mariage homosexuel et a exprimé, au cours de l’émission de la BBC, Question Time, en 2011, son souhait de rétablissement de la peine de mort, ce qui est assez logique de la part de quelqu’un qui entendait faire fumer tout le monde, mais de préférence du tabac birman ou du nigérian. A ce jour David Cameron n’a fait aucun commentaire…

  • Le terme spin-doctor est un américanisme. C’est une collocation apparue à la fin des années 1980, dans le sillage de l’administration Reagan, notamment à l’occasion des discussions et sommets avec l’ex-URSS sur la réduction des armes stratégiques. Spin, littéralement, est défini, dans son acception politique actuelle, par les dictionnaires contemporains, notamment The Longman Register of New Words, de la manière suivante : A particular interpretation or slant given to a proposal, policy, piece of information (1989:353). The Oxford Dictionary of New Words donne, quant à lui, une définition plus générale de spin-doctor : A senior political spokesperson employed to promote a favourable interpretation to journalists (1997:292). Dans un éditorial daté du 26 décembre 1987, The Economist écrivait, à propos de la campagne présidentielle américaine : News coverage of the campaign can be influenced to a candidate’s advantage by spin-doctors — professionals whose job is to persuade political journalists to put the right spin on the story

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