L’hiver avait été si long, presque sept mois, qu’il avait avalé le printemps sur sa lancée et laissait présager un été maussade ou, pire, pourri. Côté météo l’été s’est avéré une très agréable surprise, mais côté société et vie politique l’été a bel et bien été pourri et continue de l’être. Tout a commencé, début juillet, par la scandaleuse décision de la cour d’appel de Versailles de bâillonner Mediapart en donnant le rôle inattendu et obscène de gardien d’une morale publique très spécieuse à un avocat ou présumé tel, dont le seul titre de gloire est d’avoir participé très largement à la vaste entreprise d’abus de confiance d’une vieille dame sénile. Pour reprendre l’excellente métaphore d’Edwy Plenel, notre démocratie est, décidément, de très basse intensité. On ne peut que regretter, à cet égard, qu’à ce jour, nous n’ayons été que 56.000 à signer la pétition de soutien à Mediapart. C’est, certes, beaucoup mais tellement insuffisant par rapport aux dangers qui pèsent sur la liberté de la presse et sur la démocratie. On remarquera que, depuis cette honteuse agression sur la liberté, certains pseudos aussi ridicules que haineux – un en particulier – ont ressurgi dans le Club. A l’instar de ce que constate le personnage interprété par Bernard Blier dans Les Tontons Flingueurs dans son analyse de la corrélation entre pommes et Calvados, il doit y avoir un lien.
L’empressement indécent à museler la presse n’a pas engendré la même hâte judiciaire avec les affaires en cours, Tapie, Karachi, Cahuzac, Bettencourt, dont les citoyens épris de justice et de liberté attendent toujours avec impatience les développements et, surtout, les conclusions. Rien ! Et une intensité de plus en plus basse. D’autant plus basse que le clone – à moins qu’il ne soit nécessaire de l’écrire clown – de Claude Guéant au ministère de l’intérieur a continué ses basses et méprisables besognes à l’endroit des Rroms. Besognes agrémentées de propos et de gesticulations dignes de l’ex-président, triste mimétisme mais ô combien révélateur : l’idéologie et le débat politique ont disparu, ne compte plus que l’image, degré ultime du mépris de la démocratie. Le dit clone a cru bon de préciser au congrès du parti socialiste à La Rochelle qu’il était bien de gauche et socialiste, gradation sémantique passionnante qui implique, donc, que, dans l’esprit de l’intéressé, on pourrait être de gauche sans être socialiste ou l’inverse, ce qui, dans son cas, n’a strictement aucune importance puisque chacun sait, depuis longtemps, qu’il n’est ni l’un ni l’autre. Et pendant ce temps-là l’audio-visuel public est toujours dirigé par les mêmes obligés de l’ex-président et les chaînes d’information en continu, véritables brosses à reluire industrielles, n’en finissent pas – jusqu’à la nausée – de disserter sur le retour de l’ex- déjà nommé en 2017 ! Basse, de plus en plus basse l’intensité.
Côté jardin et divertissement, on notera que, dans les services des sports des chaînes de télévision publique, on persiste à confondre journalisme et promotion commerciale, car qu’y-a-t-il de plus obscène et de plus surréaliste que de s’extasier sur un coureur cycliste britannico-sud africain qui se permet, sans doute pour la plus grande joie de l’industrie pharmaceutique, d’accélérer, sans effort apparent et sans se mettre « en danseuse » l’ascension du Mont Ventoux ? Tous les cyclotouristes amateurs qui ont déjà gravi cette montagne rude, et l’auteur de ces quelques lignes en fait modestement et douloureusement partie, savent pertinemment que l’endroit précis de cette accélération est justement le lieu où chacun – professionnel aguerri ou amateur assidu – se demande si l’abandon ou le pied à terre ne sont pas les solutions les plus raisonnables. Les mêmes thuriféraires viennent plus récemment de ressasser les quelques cent millions d’euros que le club espagnol de football hérité du franquisme, le Real Madrid, a payé à Tottenham Hotspurs pour le transfert d’un joueur gallois Gareth Bale, sans jamais enquêter sur le déficit de six cent cinquante millions d’euros de ce même club madrilène, qui doit légitimement rendre fous de rages les chômeurs et les patrons de PME espagnoles, qui, eux, devant leurs banques, trouvent porte close. Mais là, aucun titre tapageur. De plus en plus basse l’intensité.
En cette fin d’été, où François Hollande ressemble de plus en plus à Tartarin de Tarascon, une lueur est venue de Westminster, où les députés britanniques ont administré une authentique leçon de démocratie parlementaire à leur premier ministre, qui, selon le Guardian, en était déjà à discuter des modalités de frappe sur la Syrie avec Barack Obama. Certes la leçon est magnifique, mais il ne faut pas pour autant oublier que les mensonges éhontés de Tony Blair, en 2004, sur les armes de destruction massive en Irak ont certainement joué un rôle non négligeable dans ce vote. Ainsi que son alignement inconditionnel sur les choix de George Bush Jr, qui a permis à l’hebdomadaire satirique britannique Private Eye l’une de ses meilleures « unes » en avril 2004, avec une photo de Bush promenant son caniche, au-dessus duquel Private Eye avait placé une bulle : Why the hell does he keep calling me Tony? Pourquoi diable est-ce-qu’il n’arrête pas de m’appeler Tony ? Par ailleurs si Ed Miliband, le leader travailliste, s’est refait une petite santé avec ce vote, son bilan est toujours transparent et son aura faible, puisque l’ex-ministre Clare Short n’a pas hésité à l’apostropher, dans le n° de septembre du magazine Prospect : Miliband must get tough on inequality, housing and Europe, entendez Miliband doit se montrer plus ferme sur les inégalités, sur le logement et sur l’Europe. Pendant ce temps-là, le boucher de Baghdad et Poutine, deux grands amis de « l’ex- qui doit revenir en 2017 » plastronnent. Et, ici, Fabrice Arfi et Edwy Plenel sont convoqués à Bordeaux où l’on semble vouloir traiter les vrais journalistes et lanceurs d’alerte comme des malfaiteurs. De plus en plus faible l’intensité, la démocratie pourrait même disparaître des écrans-radars…