On pourrait légitimement demander à nos amis grands-bretons : à quoi diable peut bien servir un grenadier du régiment des Grenadier Guards ? Leur tâche consiste essentiellement, aujourd’hui, à garder Buckingham Palace, la royale résidence que l’on sait, ainsi que Saint-James’s Palace où sa gracieuse majesté loge sa descendance
, principalement ses petits-enfants et, notamment, la progéniture de Charles et Andrew. Autant dire la menace d’un danger extérieur ou intérieur est mince, le péril majeur ne pouvant venir que des paparazzi qui travaillent pour le tristement célèbre Rupert Murdoch et ses navrants tabloïdes. Le corps des Grenadier Guards n’a pas toujours été affecté à des tâches si peu exaltantes.
Créé à la fin du 17ème siècle, le régiment des Grenadier Guards fait partie intégrante de l’armée britannique et a joué un rôle important pendant la colonisation, la première guerre mondiale, puis la seconde où ses blindés ont suivi les troupes du débarquement le 6 juin 1944. Après 1945, il est redevenu un simple régiment d’infanterie voué à des tâches d’apparat, pour satisfaire les touristes, qui, entre autres, se massent devant les grilles de Buckingham. Est-ce la nostalgie de ce passé actif ou un moment de folie qui a poussé le grenadier qui était le planton de service le 28 août à donner un véritable spectacle ? Ou peut-être avait-il lu ou relu The Loneliness of the Long Distance Runner, chef d’œuvre de feu Alan Sillitoe, ensemble de nouvelles littéraires passionnantes dont le point commun est le défi permanent à l’autorité ?
Toujours est-il que le grenadier a accommodé ses va-et-vient de ralentis, d’arrêts, de rythme à la Charlie Chaplin pour terminer en tournant sur lui-même, des pirouettes dignes d’une opérette d’Offenbach, selon le New York Times qui a relaté l’affaire avec un certain délice, en constatant que le décorum avait été jeté aux orties, mêlé d’une certaine ironie vis-à-vis de la monarchie. En revanche le ministre de la défense, le conservateur Philip Hammond, n’a pas du tout trouvé la plaisanterie à son goût et a évoqué des sanctions appropriées, comme le relate le Telegraph. Rappelons, pour modérer les martiales et vengeresses pensées du dit Hammond, d’une part que la vidéo postée sur le net a eu un gros succès, d’autre part un individu du nom de Anthony Blair, premier ministre de son état et qui n’est ni grenadier ni horse guard, a, par ses pirouettes face à l’opinion publique en mars 2003 et l’adoption des mensonges de George Bush Junior sur les présumées armes de destructions massives de Saddam Hussein, engagé l’armée britannique en Irak, engagement qui a coûté la vie à 179 soldats. A ce jour, nul n’a entendu parler de sanctions à l’égard de Blair, ce qui devrait permettre de relativiser les velléités de comédien d’un grenadier.