Spécificité franc-comtoise à l’origine le Cirque Plume a acquis une aura internationale par la beauté et le talent de ses créations. Le 13 juin dernier a eu lieu la dernière représentation de Tempus Fugit, sous le chapiteau planté à Mazagran sur les rives du Doubs à Besançon. C’est là que Bernard Kudlak s’est prêté à un entretien aussi informel que sympathique et chaleureux, devant une des caravanes de la troupe, sous un soleil éclatant et avec le superbe accompagnement musical d'un merle :
- Comment est venue l’idée de créer le Cirque Plume ?
Nous étions tous un peu à la marge de la société. C’est ainsi que nous nous sommes retrouvés. A l’époque nous étions un groupe, saltimbanques, étudiants, nous avons même côtoyé Mélenchon, qui était étudiant à Besançon et qui était déjà un orateur extraordinaire. Il y a eu plusieurs étapes et tentatives avec différents noms de troupes, La falaise de fous, Le théâtre des manches à balais. Et puis en 1984, nous étions neuf, Hervé Canaud, Michèle Faivre, Vincent Filliozat, Jean-Marie Jacquet, Jacques Marquès, Robert Miny, Brigitte Sepaser, mon frère Pierre (Kudlak) et moi-même (Bernard). Ce qui nous animait c’était à la fois d’apporter aux autres un mélange de rêve et de poésie. C’est ça le cirque, c’est-à-dire donner aux gens l’envie de voir le monde autrement. Nous avons commencé à tourner dans les petits villages. C’est ainsi que nous avons acquis une réputation. Puis sont venus respectivement l’aide du Conseil régional de Franche-Comté, puis l’amplificateur considérable qu’a été le off d’Avignon en 1986. Et nous avons été sur les rails.
- Et pourquoi « plume » ?
La plume dans l’art funèbre égyptien, c’est ce que l’on met sur le plateau de la justice pour la pesée du cœur, c’est la légèreté du cœur et la fragilité de l’harmonie humaine. Pour nous c’était un symbole suffisant pour exprimer ce que nous voulions et ressentions et ce que nous souhaitions transmettre.
- Dans votre profession de foi préalable au dernier spectacle vous insistez sur le lourd héritage de la barbarie du 20ème siècle, un moteur pour vous tous ?
Comme nous le disons dans notre profession de foi, nous sommes tous des enfants de l’après-guerre, c’est-à-dire des enfants du siècle de deux guerres, de la barbarie et des crimes de la colonisation, le 20ème. Nous avons été la jeunesse du silence face à toute cette horreur. Nous portions à la fois le silence de nos parents et les espoirs de reconstruction, par le biais du Conseil National de la Résistance, et des valeurs ouvrières, républicaines et par l’éducation populaire aussi. Alors oui tout cela a été un moteur inéluctablement. Donc nous avons monté des spectacles qui parlent à tous les âges à toutes les classes sociales dans le but de faire partager des émotions sans restriction.
- Tempus fugit, votre superbe dernier spectacle, montre que si le temps fuit, il vous rend, vous la troupe, plus fort et plus maître de votre art. Donc le temps n’a pas de prise sur l’artiste ?
Non pas vraiment parce que l’artiste c’est le temps. L’artiste fait partie du temps, il est dans l’instant. Le temps fuit, mais il est éternel. Nous, nous montrons comme le cadran solaire, c’est un peu prétentieux, ça non ? (Rires) Ce que je veux dire..Mais en fait le temps du cirque, il est dans l’immédiat, voilà l’immédiat, l’instant.
- Cette référence très franc-comtoise au chemin perdu, est-ce une façon de ne pas oublier les racines ?
Dans le domaine de l’horlogerie, qui fut un des fleurons de la Franche-Comté, « le chemin perdu » est une expression spécifique qui désigne, dans le système d’échappement d’une horloge comtoise, l’espace compris entre les deux pointes de l’ancre, que l’on appelle aussi le repos et la chute. Pour être un plus clair et imagé, il s’agit de l’espace entre le tic et le tac. Et nous, nous donnons rendez-vous au public là, entre le repos et la chute, entre le tic et le tac. En fait nous avons coutume de dire que nous vous attendons là, parce que nous voulons être bien là avec vous tous.
- Le Cirque Plume est une ouverture permanente sur le monde, une chaîne d’union et de fraternité ?
Il y a treize artistes dans le Cirque Plume, sept francs-comtois, Nicolas Boulet, Grégoire Gensse, Alain Mallet, Benoit Schick, Brigitte Sepaser, Laurent Tellier Dell’Ova, et Pierre mon frère, une savoyarde, Sandrine Juglair, trois américains, Mick Olsbeke, Diane renée Rodriguez et Molly Saudek, une canadienne, Marie-Eve Dicaire. Dans le précédent spectacle, nous avions des brésiliens. Il n’y a pas de frontière dans le cirque, il y a comme vous l’avez dit l’union et la fraternité qui se fondent sur le travail et le partage. Le public vient rêver, rire, admirer et cela, ça implique toute la planète des humains.
- Comment communiquent les artistes entre eux ? En français ou une autre langue ?
Nous communiquons en français. Tous les artistes qui nous rejoignent, en règle générale, parlent français. Mais, de toute façon, nous avons une langue commune, le cirque.
- Comment fonctionnez-vous ? Avez-vous assez d’autonomie pour ne pas dépendre de l’aide publique ? Et cette aide publique vous semble-t-elle menacée en cette période de récession ?
Le Cirque Plume s’autofinance à 85%, avec le soutien du ministère de la culture, notamment de la DRAC de Franche-Comté, du Conseil Régional de Franche-Comté et de la Ville de Besançon. Nous ne dépendons que de nous-mêmes, c’est-à-dire de notre travail et de notre relation avec le public. Et nous n’avons aucun privilège ni aucun avantage particulier. Je dirais même que nous sommes un peu dans l’adversité. En effet, partout en France, dans chaque capitale régionale il y a un conservatoire de musique et souvent de théâtre, mais pour le cirque rien, pas de conservatoire. Les élus nationaux pourraient peut-être se pencher sur ce vide.
- Vous avez désormais une aura nationale et internationale, est-ce que les portes s’ouvrent plus facilement qu’il y a trente ans ?
Dison un peu plus facilement, mais nous avons dû frayer notre chemin. Rien n’a été acquis. Alors oui c’est vrai, les portes s’ouvrent un peu plus facilement qu’à nos débuts, mais, pour qu’elles restent ouvertes, il nous faut continuer à travailler inlassablement.
- Lors des 5 ans de Mediapart, l’équipe de Mediapart a invité ses abonnés au cirque tsigane Romanès, dont le chapiteau se trouve dans le 17ème, boulevard de Reims, pour un spectacle magnifique, avez-vous des contacts avec eux ? Et avec les autres cirques ?
Bien sûr, nous nous rencontrons sur les routes, ce n’est pas un cliché, c’est la vérité et c’est comme ça que nous échangeons. La route c’est la vie pour nous. Quant à Alexandre, oui bien sûr, je le connais, il fait un travail formidable, en famille, dans le même domaine que nous puisque c’est aussi un cirque traditionnel sans animaux.
- Quel est le prochain projet ?
Nous venons de terminer nos représentations à Besançon, qui est notre socle, et, maintenant nous avons deux ans de tournée en France et à travers le monde. La période de lancement de Tempus Fugit a été marquée par la douleur et le deuil. Nous avons perdu notre vieux complice, mon vieux frère de cirque, Robert Miny qui était chargé de la composition, des arrangements et de la direction musicale.