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Billet de blog 4 septembre 2014

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Quand Will Self s'en prend à George Orwell

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George Orwell à gauche et Will Self à droite © Rex Features / Karen Robinson

Quelle mouche aura donc piqué Will Self en cette fin d’été 2014 ?  Journaliste, homme de télévision et, surtout, romancier reconnu, avec 11 romans à ce jour (dont Umbrella en 2012, qui lui a valu de faire partie de la sélection restreinte du Booker Prize, équivalent britannique du Goncourt) et 7 recueils de nouvelles littéraires, et apprécié jusque dans les colonnes de Mediapart (lire ici la présentation et la critique faite de son ouvrage No Smoking en 2009 par Christine Marcandier), le voilà qui s’attaque à un monument non seulement de la littérature mais aussi de la pensée politique britanniques du vingtième siècle. Et que reproche Self à Orwell ?

Dans un article, intitulé A point of view: why George Orwell was a literary mediocrity, (à lire ici avec modération) publié le 30 août par le site de la BBC, William Woodward Self fait de George Orwell et de  son style littéraire « une médiocrité suprême », donc, les admirateurs  de l’auteur de 1984 et de l’exceptionnel Animal Farm — dont l’auteur de ces quelques lignes s’honore et se réjouit de faire partie, tout comme l’ami Bernard Gensane qui a publié un ouvrage sur Orwell —étant mis dans le même sac d’amabilités. L’objet, entre autres choses, de la diatribe de Self est le petit essai de 20 pages publié en 1946 Politics and the English Language, dans lequel George Orwell dénonçait les aberrations de langage et la langue de bois communément partagée entre classe politique et classée médiatique*. Il avait notamment préconisé six règles essentielles à l'écriture journalistique et non pas nécessairement à la production romanesque, comme feint de le croire Self :

(i) Never use a metaphor, simile, or other figure of speech which you are used to seeing in print.

(ii) Never use a long word where a short one will do.

(iii) If it is possible to cut a word out, always cut it out.

(iv) Never use the passive where you can use the active.

(v) Never use a foreign phrase, a scientific word, or a jargon word if you can think of an everyday English equivalent.

(vi) Break any of these rules sooner than say anything outright barbarous.

L’initiative fut largement saluée, à l’époque, et le demeure comme salutaire et noble et la courageuse contribution d’Orwell au combat contre la dictature politique dans les faits et dans le langage, à travers son œuvre et ses divers engagements concrets, notamment pendant la guerre d’Espagne, n’est plus à démontrer. Donc, soit Will Self est totalement inculte ou, pire, amnésique, soit, comme l’a souligné le Guardian du 1er septembre, délibérément provocateur et d’une mauvaise foi confondante. Dans les deux cas c’est assez consternant. Ah ! Au fait, dernier détail mais non des moindres, certainement une coïncidence, Will Self sera en France, où l’aura de l’œuvre d’Orwell est intacte,  avant la fin du mois pour la sortie de la traduction de son dernier roman, Shark (une promesse de rôle de composition pour l’auteur). Si d’aventure cette lamentable diatribe n’était qu’une grossière campagne publicitaire, cette manœuvre relèverait d’une « suprême médiocrité »…

* L’analyse, faite par Orwell, de la collusion entre langage politique et langage médiatique a suscité l’intérêt de nombre de chercheurs et universitaires parmi lesquels on peut citer, entre autres (la liste étant fort loin d’être exhaustive) : James Curran et Jean Seaton, tous deux de l’université de Londres, Power and Responsibility ; le brillant et prolifique Norman Fairclough, université de Lancaster, dont New Labour, New Language? demeure une référence ; sans oublier le célèbre Press Gang de Roy Greenslade, éditorialiste au Guardian et enseignant à l’université de Londres.

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