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Billet de blog 4 octobre 2015

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Denis Healey (1917-2015), le dernier des années Wilson

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Denis Winston Healey est mort, hier samedi 3 octobre 2015, paisiblement dans son sommeil, selon les media britanniques, à son domicile d’Alfriston dans le Sussex, il avait quatre-vingt dix-huit ans. Ultime survivant des années Wilson — qu’il méprisait cordialement an awful prime minister — il fut le secrétaire d’état à la défense du gouvernement de Harold Wilson de 1964 à 1970, puis chancelier de l’échiquier de Wilson puis de Callaghan de 1974 à 1979. Député de la circonscription sud-est de Leeds, il fut élu pour la première fois en 1952, à la faveur d’une partielle, puis ré-élu de façon ininterrompue, avec des scores confortables, jusqu’à son retrait de la vie en politique en 1992, année où il devint membre de la chambre des lords avec le titre de Baron Healey de Riddlesden dans le West Yorkshire. Denis Healey fut un héros de la seconde guerre mondiale. Lieutenant-colonel des Royal Engineers, il conduisit avec succès le débarquement de son régiment en Sicile, en 1944. En 1945 il devint MBE, Member of the Most Excellent Order of the British Empire, royal équivalent de la légion d’honneur, en récompense de sa bravoure. Il déclina l’offre de rester dans l’armée et entra la même année au parti travailliste, dans le sillage de la victoire relativement inattendue de Clement Attlee aux législatives.

Inclassable, c’est ce que fut Denis Healey au sein du Labour. Né dans le Kent, en 1917 — année qui explique le choix du deuxième prénom, Winston, en hommage à l’engagement militaire de Churchill pendant le première guerre —, Denis Healey suivit sa famille dans le West Yorkshire, à Keighley. Après de très brillantes études secondaires d’abord à Bradford Grammar School, puis supérieures en littérature classique à Oxford, au Baillol College, où son meilleur ami et camarade de promotion fut Ted Heath, futur premier ministre conservateur (1970-1974), il intégra l’appareil du parti travailliste après une première tentative manquée (d’environ 1.400 voix) de candidature aux législatives de 1945, dans la circonscription de Pudsey and Oxley, dans le West Yorkshire. Indépendant, rebelle parfois, Denis Healey ne fut jamais inféodé à quelque courant que ce fût dans le Labour — pas plus qu’à Oxford où il adhéra au parti communiste en 1937, pour le quitter en 1940 et s’engager activement dans la lutte contre les nazis avec les Royal Engineers —. C’est sans doute la raison pour laquelle le Guardian ce matin, sous la plume de Michael White, a titré avec dérision et regret : Denis Healey, one of the best prime ministers Britain never had, l'un des meilleurs premiers ministres que la Grande-Bretagne n’a jamais eus.  A l’heure du bilan l’histoire sera vraisemblablement ingrate.

En effet, on retient surtout qu’il fut un secrétaire d’état assez réservé avec l’OTAN et l’arme nucléaire puis le chancelier de l’échiquier pendant la pire période des travaillistes au pouvoir, le sinistre hiver 1979 (avant l’arrivée de la non-moins sinistre Margaret Thatcher), où Callaghan et Healey durent imposer des mesures très restrictives pour combattre l’inflation.  Période surnommée the winter of our discontent, en référence aux premières lignes de la tragédie de Shakespeare, Richard III : Now is the Winter of our Discontent / Made glorious summer by this sun of York, Donc voici l’hiver de notre déplaisir changé en glorieux été par ce soleil d’York - analogie entre la marche impitoyable du duc de Gloucester, futur Richard III, vers le trône par-dessus les cadavres, son triomphe et sa chute, et l’attitude des travaillistes envers les classes sociales qui les avaient élus et leur chute inéluctable —. Denis Healey fut aussi le candidat fréquent et malheureux à la direction du parti travailliste.  Installé plutôt du côté de l’aile modérée, avant  1955, derrière Hugh Gaitskell, Healey, à la mort de ce dernier,  apporta son soutien à  Harold Wilson contre l’inénarrable George Brown, sans aucun plaisir et par élimination, soutien qu’il décrira plus tard comme a choice between a crook (Wilson) and a drunk (Brown), choix entre un escroc et un ivrogne. Partisan de l’émergence de Blair, en 1994, comme chef du Labour, Denis Healey demandera publiquement son départ, en 2004, lors de l’alignement inconditionnel sur les positions de Bush et l’invasion de l’Irak.

Denis Healey était souvent connu et caricaturé pour ses épais sourcils broussailleux, qui auraient pu rendre Pompidou jaloux, ses déclarations sans détour, sans aucune mesure avec les lapalissades de Raffarin. Ainsi, en 1974, lors d’un débat aux communes, il lancera à Geoffrey Howe, futur ministre conservateur : It has never been my nature, I regret to admit to the House, to turn the other cheek, Je regrette d’avouer qu’il n’a jamais été dans ma nature de tendre l’autre joue. A propos des riches que défendaient ardemment les Tories, toujours en 1974, il promettait de : squeeze property speculators until the pips squeak, presser les spéculateurs propriétaires jusqu’à la dernière goutte (littéralement jusqu’à ce que les pépins crissent). En 1976, en réponse à une critique de ses coupes budgétaires de la part de Ian Milkado, député travailliste de l’extrême-gauche et, donc, assimilé à un maoïste, He must be out of his tiny Chinese mind, ça ne va pas bien dans sa petite tête de chinois. Denis Healey était tout sauf un apparatchik à la langue de bois. Cultivé, passionné de poésie, de peinture et de photographie, il écrivait, peignait et photographiait sans relâche lors de ses nombreux voyages officiels et privés. Comme l'a écrit le GuardianHe was a bon vivant, en français dans le texte.

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