
Photo : Murdo Macleod, The Guardian.
C’est une révélation à la fois insolite, presque anachronique et déconcertante que le Guardian a donnée sur son site le 30 octobre, une information qui pourrait s’avérer embarrassante pour le parti travailliste, l’ex-premier ministre Tony Blair et l’actuel, David Cameron, ainsi que la coalition conservatrice. Selon le quotidien britannique, depuis 2005, plusieurs ministres, au moins six d’après l’enquête menée, ont été contraintsde solliciter l’autorisation du prince Charles avant de faire voter une douzaine de lois aux communes.
Selon le Guardian, c’est par une faille constitutionnelle peu connue, qui permet au prince de Galles d’opposer son veto à toute loi qui pourrait nuire à ses intérêts privés, que les très obligés et très empressés ministres ont créé un incroyable précédent. En effet dans le régime de monarchie parlementaire du Royaume-Uni, le souverain, en l’occurrence la reine Elizabeth II, doit apporter son approbation à toute loi votée à la chambre des communes, avant promulgation, mais il s’agit là d’un pouvoir formel, dont les limites n’ont jamais été franchies. La seule fois où la reine a exercé une forme d’autorité, au bénéfice de la démocratie, ce fut en 1974, lorsqu’elle refusa à Ted Heath, premier ministre conservateur dont le parti avait été battu aux élections législatives, de former un gouvernement minoritaire.
Mais il ne s’agit pas d’elle, mais des intérêts financiers de son fils aîné, second dans l’ordre protocolaire et qui n’a strictement rien à voir avec le processus de royal assent to bills. Le prince Charles, Wales pour les intimes, dispose d’un empire financier, nommé d’après l’un de ses titres, The Duchy of Cornwall, qui pèse environ 700 millions de livres sterling et qui lui a rapporté 18 millions de livres sterling de revenus, l’an dernier. Tout ceci s’ajoutant bien évidemment à la célèbre Civil List, par laquelle le contribuable britannique entretient littéralement la famille royale. Cette situation tout à fait inédite et inattendue est qualifiée par les constitutionnalistes de royal nuclear deterrent over public policy, c’est-à-dire de dissuasion nucléaire royale sur la politique publique.
Les détails de ces accords, secrets jusqu’au 30 octobre 2011, vont probablement provoquer la consternation ou la rage, déjà très développée par les militants du mouvement Occupy, car, depuis 2005, les bonnes grâces du prince ont été recherchées sur des questions qui vont de la sécurité routière à l’organisation des jeux olympiques de 2012, en passant par les jeux de hasard, entre autres choses. Au cours des deux dernières sessions parlementaires, l’accord du prince héritier, en vue d’éviter son veto, a été proposé sur l’enlèvement des épaves (sans doute un sujet sensible pour ce qu’il reste de la famille royale), les sociétés coopératives, les enquêtes de médecins-légistes, la construction de logements et l’accès aux côtes du royaume. On savait que Wales se mêlait de tout et particulièrement de ce qui ne le regarde pas, mais la réalité dépasse l’entendement, d’autant que l’héritier de la couronne outrepasse considérablement son tout petit rôle constitutionnel.
Les réactions, jusqu’à présent, n’ont été ni rapides ni véhémentes. Andrew George, député libéral-démocrate (apparemment il en reste encore) de St-Ives en Cornouaille, a fait dans l’understatement en déclarant sobrement : The duchy asserts that it is merely a private estate. Most people will be astonished to learn that it appears to have effective powers of veto over the government, ce qui signifie Le duché affirme que c’est simplement un domaine privé. La plupart des gens seront étonnés d’apprendre qu’il semble avoir un réel pouvoir de veto sur le gouvernement. Graham Smith, qui milite pour un chef d’état élu au suffrage universel à travers son mouvement Republic, est allé un peu plus loin en affirmant que c’est an affront to democratic values. Mais la palme révolutionnaire est allé à un lord, Lord Berkeley, qui est monté au front avec cette salve : If he is given these powers purely because he owns land in Cornwall it is pretty stupid. What about the other landowners… ?, Si on lui donne ces pouvoirs parce qu’il possède des terres en Cornouaille, c’est assez stupide. Et les autres propriétaires terriens alors…? Encore une ou deux sottises de Wales, qui ne va certainement pas nous décevoir, et on pourrait voir des lords dans le mouvement des indignés…