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Billet de blog 5 janvier 2015

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Royaume-Uni : le retour d'un violeur

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Chedwyn Michael Evans, plus connu sous le diminutif de Ched Evans est un footballeur professionnel gallois, dont les exploits footballistiques non seulement n’ont jamais franchi la Manche mais, en plus, l’ont maintenu dans un marais relatif d’anonymat au Royaume-Uni. Bien que sélectionné à treize reprises dans l’équipe du Pays de Galles, il n’a jamais fait preuve d’un très grand talent au plus haut niveau, et, après une saison infructueuse à Manchester City il est parti à l’étage inférieur, en League One, équivalent de la D3, tenter de faire carrière à Sheffield United. Mais c’est en dehors des terrains qu’il a fait les titres de « une » des media britanniques. En mai 2011, après avoir fait boire copieusement — jusqu’à ce qu’elle soit pratiquement inconsciente et docile — une jeune fille de 19 ans rencontrée dans un pub de Rhyl, station balnéaire de la côte nord du Pays de Galles en face de l’Île de Man, il l’a emmenée dans un hôtel, où il l’a violée. Reconnu coupable, il a été condamné en 2012 à cinq ans de prison, peine qui semble bien faible par rapport à un tel crime prémédité, et l’histoire aurait pu et aurait dû s’arrêter là, à la page des faits divers, mais elle est devenue depuis l’automne, à juste titre, une controverse qui agite le royaume.

En effet, depuis le mois d’octobre, Evans a été remis en liberté, après deux ans et demi d’emprisonnement, en bénéficiant d’une libération anticipée en raison de « sa bonne conduite », expression qui, en l’occurrence, semble totalement obscène, d’autant plus obscène qu’il a toujours affirmé que la victime était consentante, argument classique des violeurs, tellement consentante qu’elle est en dépression depuis trois ans, et change fréquemment d’identité, car elle fait l’objet d’une haine tenace, sur l’Internet, de la part des fans d’Evans dont le Q.I. ne semble pas dépasser la température corporelle. Or, à sa sortie de prison, l'ancien club d'Evans, Sheffield United, lui a proposé de venir s’entraîner avec la section professionnelle. Le tollé a été immédiat : la médaille d’or en heptathlon des derniers jeux olympiques, Jessica Ennis-Hill, native de Sheffield, dont le nom avait été donné à une tribune du stade de Sheffield United après le jeux de 2012, a exigé que son nom soit retiré sur le champ. Charlie Webster, présentatrice très populaire d’une émission de sports sur Channel 4, membre d’une groupe de mécènes du club et elle-même violée quand elle était adolescente, a retiré aussitôt sa participation financière. Une pétition pour empêcher Evans de résigner où que ce soit a, dans le même temps, été lancée sur le net, par une association féministe sous le pseudo de Jean Hatchet,  et a déjà recueilli plus de 160.000 signatures, on peut la consulter ici et signer aussi

Devant ces réactions parfaitement légitimes, Sheffield United et Oldham, autre club de League One, ainsi que Tranmere et Hartlepool, clubs de D3 qui avaient également sollicité Evans, ont hypocritement et prestement publié des communiqués pour préciser que, bien sûr, il n’avait jamais été question de proposer quelque contrat de joueur professionnel que ce soit au dit Evans, qui s’est alors tourné vers l’étranger, notamment le club des Hibernians de Malte. Mais le ministre de la justice du gouvernement de David Cameron, Chris Gayling, a aussitôt interdit à Evans de quitter le territoire, tout en menaçant le premier ministre de l’île de Malte, Joseph Muscat, de sanctions au cas où les Hibernians insisteraient. Des voix s’élèvent au Royaume-Uni pour dire que Ched Evans a purgé sa peine et qu’il a le droit de refaire sa vie. Mais cet argument est fort fragile, d’une part parce que, comme cela a été dit plus haut, deux ans et demi pour un tel crime c’est dérisoire ; d’autre part, et c’est l’aspect le plus grave, Ched Evans n’a jamais exprimé ni regret ni excuse pour ce qu’il a fait. Pire même, selon la presse populaire il se serait excusé auprès de sa petite amie, démarche qui conduit à se demander si elle n’a pas subi le même sort.

Cette sordide et scandaleuse affaire montre que le monde du football n’est décidément guère reluisant : raciste de ce côté-ci de la Manche, mais chut ! bien sûr il ne faut pas le dire, les quotas de la FFF et les propos de Sagnol ont, bien évidemment, été mal interprétés par les journalistes ; et machiste de l’autre côté de la Manche, où l’on recycle les petits voyous de quartier — Andy Carroll, avant-centre de Crystal Palace, a brisé la mâchoire d’un de ses ex-partenaires de Newcastle United qui avait eu l’audace d’un tackle trop appuyé et a été condamné pour avoir frappé sa petite amie — et les petits voyous issus du monde des oligarques russes, des fortunes douteuses du sud-est asiatique et des « grandes démocraties » du Golfe Persique. Et pendant ce temps-là, les petits garçons et les adolescents à qui l’on doit inculquer le respect des filles, qu’ils doivent considérer comme leurs égales, et à qui on doit faire comprendre une bonne fois pour toutes que « non c’est non », risquent d’afficher dans leurs chambres des photos de Ched Evans.

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