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Billet de blog 5 décembre 2016

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Royaume-Uni, trois ondes de choc en une semaine

Elizabeth II imaginait peut-être une fin de règne paisible. Le Brexit et une élection législative partielle ont changé la donne. La société britannique est désormais sous le choc des soupçons de pédophilie qui pèsent sur la mémoire de Ted Heath et qui, par ailleurs, polluent gravement l'image du football britannique.

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Ainsi va la vie, sa bien évidemment toujours très gracieuse majesté, la reine Elizabeth II, pensait sans doute s’acheminer vers une fin de règne paisible, après avoir battu, depuis juin 2015, le record de longévité de la reine Victoria (63 ans sur le trône, bientôt 65 pour l’actuel souverain). Une fois entrée dans le Guinness Book of Records, branche royale, elle aurait laissé l’image de la vaillante adolescente qui, en 1940, avait donné, par BBC interposée, son premier message pour encourager sa tranche d’âge à soutenir les troupes britanniques, puis celle d’une jeune adulte devenue, en 1944, volontaire dans l’Auxiliary Territorial Service en tant que conductrice et mécanicienne. Mais ses sujets sont bien ingrats et l’aura de jeune princesse participant à l’effort de guerre va peut-être être attaquée par la corrosion du temps et de la mémoire, puisque, depuis le 23 juin 2016, elle court le risque majeur de rester dans l’histoire comme la reine du Brexit, c’est-à-dire le souverain pendant le règne duquel le royaume est devenu sérieusement désuni. Et, comme si le sort n’était pas suffisamment cruel, dans la semaine qui vient de s’écouler trois ondes de choc vient de secouer gravement la paix sociale du royaume. 

C’est tout d’abord, le petit univers du football britannique devenu un véritable paradis pour les investisseurs étrangers, même les moins reluisants (à cet égard on attend avec impatience les nouveaux développements des révélations de Football Leaks) qui a surtout fait la démonstration que n’y règnent ni le droit ni la morale ni le respect. Le Guardian a, en effet, publié des témoignages de jeunes joueurs passés par les centres de formation de plusieurs grands clubs (55 au total !), dans les années 1970. Ces futurs footballeurs ont été victimes, alors qu’ils étaient tous encore mineurs, de prédateurs sexuels qui faisaient partie du club et sévissaient en toute impunité et en toute lumière, et, bien souvent, sans que les clubs concernés ne fassent quoi que ce soit pour sauver et protéger ces jeunes gens dont les pédophiles, (toujours en activité pour certains) ont brisé la vie et la carrière. Le club de Chelsea a même payé un des ces apprentis-footballeurs des années 1970, pour qu’il ne dépose pas plainte et garde le silence. Les Grands-Bretons se vantent souvent (abusivement) d’avoir inventé le football, apparemment ils ont surtout inventé la pédophilie organisée dans le domaine du football et l'omerta qui va avec. Dans le même registre, depuis le milieu de la semaine dernière une rumeur qui remontait au passage de Ted Heath à Downing Street refait surface.

En effet, on se souvient qu’en 1965, Edward Heath était devenu leader du parti conservateur puis premier ministre en 1970, et avait perdu les élections, en 1974, au profit de Harold Wilson et des travaillistes et le leadership des Tories au profit du défunt rhinocéros. On avait gardé l’image d’un conservateur dynamique, européen convaincu, mais on avait également en mémoire que Ted Heath était présenté comme un célibataire endurci, selon le cliché consacré, excellent navigateur, passionné de régates. Quant à sa vie privée, la presse britannique la respectait sans ne jamais rien dévoiler, alors que de nombreuses rumeurs couraient dans le petit monde politique dès les années 1970. Ted Heath fut un parlementaire et un premier ministre respecté, après avoir été un courageux lieutenant de la Royal Artillery dont la bravoure pendant la seconde guerre mondiale est largement connue. Donc presque un monument auquel on ne s’attaque pas. Cependant Mike Veale, commissaire à Salisbury, dans le Wiltshire, dernier lieu de résidence de l’ancien premier ministre, a annoncé, avec toutes les précautions oratoires d’usage  et malgré la pression de la presse conservatrice et tabloïde qu’il a dénoncée, avoir recueilli une vingtaine de témoignages d’hommes qui affirment avoir été abusé sexuellement par l’ancien premier ministre conservateur, lorsqu’ils étaient adolescents et, donc de fait, mineurs. Mike Veale a précisé qu’il ne s’agissait ni d’une enquête fortuite (a fishing trip) ni d’une chasse aux sorcières (witch-hunt), mais du résultat d’un travail sérieux mené depuis des années. Si Mike Veale a reçu le soutien de ses pairs et de sa hiérarchie à Scotland Yard, en revanche on est toujours en attente d’un commentaire de l’état-major conservateur et de l’actuel premier ministre, Theresa May. Muette elle l’est aussi depuis l’élection partielle du jeudi 2 décembre, dans la circonscription de Richmond Park, à l’ouest du Greater London, troisième onde de choc de la semaine.

Autrefois fief cossu des Libdems depuis 1997, Richmond Park avait été conquis, en 2010, par Zacharias Goldsmith, fils-à-papa et tête-à-claques nationale, avec une avance de plus de quatre mille voix sur la candidate Libdem, Susan Kramer. En 2015 le même Zac Goldsmith avait conforté son siège avec une avance de 23.000 voix sur son adversaire LibDem, Robin Meltzer, soit 58,2% des suffrages exprimés. Circonscription bourgeoise par excellence, Richmond Park est un peu l’équivalent de Neuilly et les représentants  de la classe ouvrière sont rares à tel point que le meilleur score d’un travailliste a été atteint en 2010, par Eleanor Tunnicliffe, avec 2,79% des voix. Donc Zac Goldsmith était dans un cocon, à l’image de son évolution dans la sphère familiale. Or quand on est Frank Zacharias Robin Goldsmith, fils du milliardaire Sir James Goldsmith, on en veut toujours plus. Richmond Park était trop étroite pour son incommensurable ego, et en juin 2015, le fils de son père a donc décidé d’être candidat à la mairie de Londres et à la succession de celui que l’on prend abusivement pour un homme politique, mais qui n’est qu’un clown vulgaire, Boris Johnson. Pendant cette campagne, Zac Goldsmith s’est finalement montré le digne successeur de Johnson, en affirmant que si les londoniens élisaient Sadiq Kahn, le candidat travailliste, Londres deviendrait un repaire djihadiste (il a honteusement utilisé les images du bus désintégré par une bombe en 2005 pour étayer sa haine anti-islam). Comme chacun sait, les électeurs londoniens sont parfois plus intelligents que les fils des présumées bonnes familles et Sadiq Kahn a été élu maire de Londres. Dans un nouveau caprice de star, Goldsmith a démissionné de son mandat de député et du parti conservateur en octobre 2016 pour protester contre l’agrandissement de l’aéroport de Heathrow. Une élection partielle devait donc avoir lieu dans la circonscription de Richmond Park pour lui trouver un successeur. Comme les enfants gâtés n’ont peur de rien et surtout pas du ridicule, Zac Goldsmith s’est présenté à cette partielle en candidat indépendant, et comme les Tories sont en pleine décomposition post-Brexit et que Theresa May a sans doute un faible pour les fils-à-papa, le parti conservateur ne lui a opposé aucun candidat. Or le résultat est à observer de très près car il marque sans doute un tournant dans l’histoire politique post-Brexit du Royaume-Uni. Non seulement les LibDems ont repris leur bien, puisque leur candidate Sarah Olney* a été élue avec 2.000 voix d’avance sur Goldsmith (qui avait, il faut le rappeler, 23.000 voix d’avance en 2015) et presque 50% des suffrages exprimés. Mais, en plus, plus d’un tiers de l’électorat conservateur a voté LibDem pour afficher accessoirement son agacement face au comportement de Goldsmith, mais surtout et principalement pour montrer clairement à Theresa May que la ligne dure du Brexit ne plaît pas à tout le monde dans les beaux quartiers, où l’on demeure très attaché à l’UE.

Le référendum du 23 juin 2016 n’en finit pas de briser les lignes politiques et le record de longévité d’Elizabeth II disparaît sous les fractures sociales et politiques. Et cette situation fait penser à une phrase du superbe dernier roman du magistral Graham Swift, Mothering Sunday, sur les rapports entre maîtres et domestiques (p-88) : Those who served served and those who were being served lived (Ceux qui servaient servaient et ceux que l'on servait vivaient)...

* Sarah Olney (LibDem) a obtenu 20.510 voix ; Zac Goldsmith (Ind)18.638 ;  Christian Wolmar (Labour) 1.515 ; inscrits 77.243 ; votants : 41.283. (Les Verts n'avaient, délibérément, pas présenté de candidat et ont soutenu Sarah Olney. Quant à UKIP il n'a pas présenté de candidat et n'a soutenu personne.)

Illustration 1
Zac Goldsmith © Toby Melville / Reuters
Illustration 2
Sarah Olney la candidate LibDem en campagne à Kingston © Martin Godwin / The Guardian

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