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Billet de blog 6 janvier 2012

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Les Jeux Olympiques de Londres : gigantesque trompe-l'œil ?

Photo : Getty images Personne n’aura sans doute oublié les conditions, rocambolesques et fort éloignées du sens du fair-play, dans lesquelles l’organisation des Jeux Olympiques d’été a été attribuée à la ville de Londres,

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Personne n’aura sans doute oublié les conditions, rocambolesques et fort éloignées du sens du fair-play, dans lesquelles l’organisation des Jeux Olympiques d’été a été attribuée à la ville de Londres, lorsque le premier ministre britannique de l’époque, Tony Blair, est venu donner un étrange coup de main à la délégation de son pays le 6 juillet 2005 à Singapour, en ruinant les espoirs de la candidature française, pourtant archi-favorite. Sept ans plus tard, le moins que l’on puisse dire, alors que la cérémonie d’ouverture aura lieu le 27 juillet, est que l’organisation de ces JO est loin de susciter un enthousiasme délirant de l’autre côté de la Manche, d’autant que bon nombre de britanniques doivent faire face à des difficultés de vie quotidienne accrues par les choix politiques de la coalition conservatrice de David Cameron et Nick Clegg.

Contre toute attente le Guardian, d’ordinaire plus mesuré, plus critique et plus circonspect, a choisi de faire vibrer la corde nationaliste, dans son édition de site du 3 janvier, en chantant les louanges des réalisations et des constructions, à travers une vidéo que l’on peut voir ici et qui ne peut que laisser pantois les fidèles lecteurs et admirateurs de ce quotidien, dont l’auteur de ce blog fait partie depuis très longtemps. On est aux confins de ce que l’on appelle pudiquement le publi-rédactionnel, terme savant pour masquer un choix publicitaire grossier. Certes Londres va organiser les JO pour la troisième fois, après 1908 et 1948. Mais était-il bien nécessaire et bien dans la tradition du Guardian de jeter en pâture, avec autant de fierté, tous ces chiffres, tout droit sortis d’une campagne de promotion immobilière : parc olympique de 2,5 km2, 200 bâtiments détruits, quelques 200.000 ouvriers sur le chantier, sous-traitance impliquant 2.800.000 personnes, la liste est loin d’être exhaustive mais demeure finalement assez embarrassante.

Fort heureusement l’excellent mensuel Prospect publie, dans son numéro de janvier 2102, un article beaucoup plus raisonnable et plus distancié. Tout simplement parce que le journaliste qui l’a écrit, Sam Knight, ne s’est pas contenté de la propagande officielle, mais il est allé enquêter sur place, dans le quartier de Hackney au nord-est de Londres, comme on peut le lire ici. Le titre qu’il a choisi est sans ambiguïté, The Olympic shadow, et est très révélateur de la conclusion à laquelle son reportage l’a conduit. Le sous-titre l’est tout autant : Will the Games help or alienate east Londoners? Les Jeux vont-ils aider ou aliéner les habitants de l’est de Londres ? Sam Knight a passé trois semaines dans cette zone, en allant à la rencontre des habitants, après avoir suivi la visite officielle d’un jour organisée pour la presse : édifiant, on est très loin des quartiers chics de Chelsea ou St John’s Wood, entre autres.

Le journaliste de Prospect a d’abord rencontré Mohamoud Ahmed Ali, chauffeur de taxi de son état. Il a quitté sa corne de l’Afrique natale en 1993 pour tenter de survivre au Royaume-Uni, ce qui ne semble pas si mal marcher. Ali parle un anglais qui demeure perfectible, mais son bon sens et sa claire vision des choses en font un témoin intéressant. Pour lui le chantier a rendu la vie difficile : outre le fait qu’aucun habitant du voisinage ne s’est vu proposer des billets d’entrée privilégiés, Ali ne voit plus le soleil en raison de la hauteur des immeubles avoisinants et ne pourra plus profiter de son back garden tranquillement. Il reste beau joueur : Everyone benefits, mais déplore le changement du quartier de Black Britain en Eastern Europe. Ali va boycotter, il ne regardera pas les Jeux à la télé, puisqu’ils ne vont pas rapporter un seul penny aux habitants de Hackney. Sam Knight ne se départit pas de sa lucidité.

En bon londonien il n’était pas allé très souvent dans cette zone. Après le Blitz et trente ans de déclin industriel c’était a place to work, to walk the dog, to chuck out the fridge, en d’autres termes ce nouveau parc olympique ce n’était au choix qu’un lieu de travail, un endroit pour promener son chien ou jeter son frigo. Zone doit être entendue au sens contemporain du terme, puisqu’au détour d’un chemin des marais de Hackney, Sam Knight a rencontré un couple de polonais qui vit dans la forêt, qui les a privés d’horizon, et, donc, d’ouverture d’esprit, puisqu’à la question de savoir si les Jeux sont attendus avec impatience, la réponse tombe comme une rafale de mitraillette : Too many Iraqis, Too many Pakistanis.

David Walker entonne, quant à lui, une chanson différente. Il est agent immobilier et croit dur comme fer que Hackney va devenir un nouveau quartier résidentiel. C’est bien là le problème, apparemment, puisqu’aux arrêts de bus on parle russe, à quelques pas de la Boucherie du Métro (en français dans le texte !) où l’on vend de la viande halal. Un peu plus loin des femmes originaires du Bangladesh lavent leur voiture d’occasion, vêtues de leur sari. Un quartier coloré et vivant donc. Le restera-t-il ?

Prospect a passé également une heure avec Ghulam Thakor et Fareed Yousuf. Ils sont secrétaires de la mosquée de Leyton qui jouxte Hackney. Le seul contact officiel qu’ils ont eu avec l’organisation des Jeux est une visite courtoise de la police venue leur parler de sécurité… Etonnant non ? Comme aurait dit Desproges. Ghulam et Fareed mènent une vie paisible, mais ils redoutent l’après-JO. En effet leur crainte est que le parc olympique soit racheté par une grosse entreprise, peut-être qatari, ce qui constituerait un lieu de stage privilégié pour les joueurs du PSG. C’est une étrange aventure que la transformation de ce quartier, un passage du 19ème siècle au 21ème d’un seul coup, mais pour qui et à quel prix ?

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