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Billet de blog 7 mai 2013

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Nigel Farage s'incruste dans la vie politique britannique

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Nigel Farage, le leader de UKIP, United Kingdom Independent Party, est sur tous les écrans et fait toutes les « unes » britanniques depuis le soir du jeudi 2 mai. En effet dans l’élection législative partielle de South Shields dans le comté de Tyne and Wear, fief travailliste depuis 1935, dans le nord-est de l'Angleterre, et, depuis 2001, siège de David Miliband, frère du leader du Labour, démissionnaire depuis sa nomination à la tête de l’ONG IRC, International Rescue Committee à New York le 15 avril, la logique a été respectée puisque la candidate travailliste Emma Lewell-Buck  a gagné. Mais, d’une part l’avance travailliste sur le deuxième a fondu, depuis 2010, de 11.109 voix à 6.505, d’autre part et contre toute attente cette deuxième place a été prise par UKIP, avec 5.988 suffrages, qui a ridiculisé les Tories, troisième avec 2.857 voix, et les Lib-Dems, septième avec un pitoyable total de 352 voix qui ne leur assurera pas le remboursement des frais. Par ailleurs, en ce même jour 27 local councils (équivalents des conseils généraux) dont le conseil particulier de l’île d’Anglesey, située entre le nord du Pays de Galles et l’Irlande  et 7unitary authorities (équivalent des communautés de communes) ont été renouvelés.

Et si UKIP ne dirigera aucun council, sa progression est spectaculaire, car ce parti passe de 8 conseillers élus à 144, avec 23% des suffrages exprimés, ce qui lui confère la troisième position juste derrière les Tories, 25%.  Le Labour reste en tête avec 29%, maintient sa domination, et gagne 2 councils supplémentaires. En revanche les Tories reçoivent un nouveau camouflet, puisqu’ils perdent 10 assemblées locales et 320 conseillers. UKIP progresse indéniablement à travers toutes les élections partielles organisées depuis deux ans. Néanmoins, si l’enthousiasme de Nigel Farage est fort compréhensible, il est surprenant que les media aient cru bon de donner écho à cette péripétie. En effet, 34 local councils ont été renouvelés, il y en a 433 au total. Par ailleurs lors de ces consultations le taux de participation a été de 31%. Lors de la législative partielle de South Shields seuls 39% des inscrits ont voté. Il n’y a donc aucune raison de considérer la montée de UKIP comme probante et significative.

De plus, contrairement à ce qui s’écrit ici ou là, y compris dans le Club de Mediapart, UKIP n’est pas l’extrême droite britannique et n’a strictement rien à voir avec le British National Party ou le National Front, qui sont l’un et l’autre ouvertement racistes et en chute libre électorale. UKIP est un parti qui a émergé de l’anti-européanisme britannique, qui a toujours été fort au Royaume-Uni, sur lequel il surfe avec d’autant plus de facilité que nombreux sont les britanniques qui voient dans l’UE un ennemi potentiel de l’indépendance, alliée au fort sentiment d’insularité. UKIP a été créé en 1993 par Alan Sked, professeur d’histoire à l’université de Londres, qui a quitté le parti libéral, dont il était membre depuis toujours, davantage par dépit de n’avoir jamais été élu, malgré ses nombreuses candidatures aux législatives, que par réaction à la signature du Traité de Maastricht. C’est seulement en 1999 que UKIP sort de l’anonymat en obtenant 3 sièges, dont celui de Nigel Farage qui avait succédé à Sked, aux élections européennes. Bref UKIP est un parti d’amers, d’aigris, de poujadistes style britannique, de recalés — Farage était, jusqu’en 1992, membre du parti conservateur, mais n’avait, lui non plus, jamais réussi à se faire élire sous l’étiquette Tory. Du reste ce parti politique venu de nulle part n’est guère pris au sérieux, puisque le ministre conservateur chargé des relations avec le parlement, Kenneth Clarke, a traité les candidats de UKIP, tout d’abord de collection of clowns, qu’il n’est pas nécessaire de traduire, puis de waifs and strays, entendez des gosses abandonnés. Quant au premier ministre David Cameron il les a catalogués en fruitcakes and closet racists, c’est-à-dire des cinglés et des crypto-racistes. Au-delà des bons mots et des invectives les Tories sont inquiets.

En effet, depuis les élections européennes de 2009, UKIP est devenu une menace pour les conservateurs, en obtenant  13 des 73 sièges européens dévolus au Royaume-Uni. Le mouvement cristallise le mécontentement que suscite la politique de Cameron et que la faible aura d’Ed Miliband ne semble pas en mesure de capter. Il profite d’un paradoxe éhonté qui consiste à dénoncer les dangers de l’appartenance à l’UE, tout en profitant de ses émoluments. Le Guardian a ainsi montré en 2009, que Nigel Farage, outre son indemnité mensuelle de 5.500 €, le député européen qu’il est , a reçu sans aucun état-d’âme, depuis qu’il est élu à Bruxelles, un total de 2 millions d’euros pour couvrir ses divers frais de voyage et de secrétariat. L’unique intérêt de l’émergence de cet ovni politique ou présumé tel est le désordre qu’il engendre dans les rangs conservateurs, qui réagissent de diverses manières. Les uns tiennent Cameron responsable et aimeraient voir Boris Johnson lui succéder au plus vite. Les autres l’appellent à se débarrasser des moribonds  Lid-Dems et à faire entrer des membres de UKIP dans son gouvernement. Les prochaines élections législatives prévues, au plus tard en 2015, risquent fort de voir émerger un groupe UKIP aux communes et d’empêcher les Tories de garder le pouvoir, pour la plus grande joie du Labour qui n’aura sans doute que cette solution pour retrouver Downing Street. L’autre grande préoccupation sera, évidemment, le référendum sur l’appartenance à l’Europe, promis par Cameron et habilement repoussé aux calendes grecques, en l’occurrence 2017, mais il est peu probable, au vu des résultats de la semaine dernière que l’attente soit aussi longue, d’autant que les prochaines européennes auront lieu en 2014.

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