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Billet de blog 6 juin 2012

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Ferveur décalée

Photo : Andy Rain (sic !) EPAMême en étant admiratif de la langue, de la culture et de la civilisation britanniques, ce qui est le cas de l’auteur de ce blog, on ne peut qu’être dubitatif et déconcerté devant le spectacle donné par le Royaume-Uni, à l’occasion du soixantième anniversaire de règne de la reine Elisabeth II.

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Même en étant admiratif de la langue, de la culture et de la civilisation britanniques, ce qui est le cas de l’auteur de ce blog, on ne peut qu’être dubitatif et déconcerté devant le spectacle donné par le Royaume-Uni, à l’occasion du soixantième anniversaire de règne de la reine Elisabeth II. Cette célébration intervient, en fait, en février, mais, pour donner plus d’éclat à ce diamond jubilee et conjurer le mauvais temps, la famille royale a, de longue date, décidé que cette traditionnelle festivité aurait lieu en juin. Hard luck ! Puisque, depuis le début de ce royal anniversaire, il est tombé des hallebardes. Pour nos amis les Grands-Bretons, dans ces cas-là, il a plu des chats et des chiens, it rained cats and dogs, mais il en faut beaucoup plus pour démonter leur flegme.

Pendant quatre jours, le Royaume-Uni a donné l’impression de se couper délibérément du reste du monde pour se livrer à une déroutante autocélébration. La caractéristique majeure est le décalage. A la surface de cette planète des peuples luttent pour accéder à la démocratie et se défaire du joug de tyrans, d’autres fêtent une saine alternance politique, mais les Britanniques, eux, rendaient hommage à un pouvoir qui n’en est plus un depuis fort longtemps. Et ils le font régulièrement, que le gouvernement soit conservateur, ce qui est le cas actuellement, ou travailliste. Du reste, lorsque l’actuel souverain a prêté serment en juin 1953, le leader du parti travailliste, Clement Attlee s’est lancé dans un impressionnant dithyrambe : "It is our hope that Her Majesty may live long and happily and that her reign may be as glorious as that of her great predecessor, Queen Elizabeth I," littéralement : Notre espoir est que le règne de sa majesté soit aussi long, heureux et glorieux que celui de son illustre prédécesseur, la reine Elisabeth I. On ne fera pas l’insulte posthume à celui qui réussit, contre toute attente, à battre Winston Churchill aux élections de 1945, de se demander si, avant de faire cette mâle déclaration, il avait abusé d’une boisson faite à base de houblon ou de malt, mais, force est de constater que déjà le souverain constituait un symbole.

Bien que le très sérieux Guardian n’ait pu s’empêcher de verser, lui aussi, dans une sorte d’hagiographie, en écrivant qu’en juin 1953, le jour où Elizabeth II prêta serment, Edmund Hillary conquit l’Everest. Voilà bien l’un des aspects paradoxaux de cet anniversaire ! Quel dommage, alors, qu’elle n’ait pas prêté serment le 20 juillet 1969 ! Mais Neil Armstrong est américain. Et rappelons incidemment que Sir Edmund Percival Hillary, disparu en 2008, était citoyen néo-zélandais, mais, à cette époque, il incarnait l’empire. Or le dit empire se désagrégeait depuis la fin de la seconde guerre mondiale et Elizabeth II a assisté, en spectatrice impuissante, à l’accélération de cette désagrégation. L’humiliation de la crise de Suez, en 1956, montra d’une part que c’en était bien fini de l’ère où le Royaume-Uni gouvernait le monde, d’autre part que le souverain britannique n’avait désormais pas plus de pouvoir que le roi de Suède ou le prince de Monaco. Donc à l’extérieur des frontières du Royaume la couronne britannique ne représente plus rien. Et qu’en reste-t-il à l’intérieur ?

Vue de l’étranger la famille royale est une source de revenus constants, puisqu’elle attire badauds et touristes. La parade de dimanche sur la Tamise a été retransmise en direct sur bon nombre de chaînes de télévision étrangères. France-Télévision a couvert l’événement en direct, avec des commentateurs inattendus spécialistes tels que Bern et Lagerfeld. Mais c’est là une spécialité maison que de promouvoir au rang d’experts des gens qui ne le sont pas. Ainsi pendant toutes les années où Bernard Pivot a tenu son émission littéraire, si l’actualité penchait du côté des Etats-Unis, aussitôt était invité Philippe Labro, qui avait passé quelques mois de ses années d’études de l’autre côté de l’Atlantique, mais jamais n’étaient invités les grands noms de l’université française spécialisés dans la littérature et la civilisation américaine. Mais refermons là cette parenthèse et revenons à nos moutons britanniques.

La reine n’a aucun pouvoir politique intérieur, si ce n’est celui d’entériner le choix de ses sujets, après chaque élection générale, en nommant officiellement le chef du parti vainqueur au poste de premier ministre. Certes, elle a empêché Ted Heath de constituer un gouvernement minoritaire en 1974, mais, de toute façon, s’il s’était passé de l’autorisation royale, ce qui était parfaitement imaginable, en revanche il n’aurait pas franchi l’obstacle de la chambre des communes, où il aurait été mis en minorité. De plus, la famille royale vit, par le biais de la célèbre Civil List, aux dépens de ses sujets, ce qui constitue une source d’irritation profonde pour les partisans de la république, qui, au fil du temps, deviennent lentement mais sûrement plus nombreux, environ 20% de nos jours. La reine n’a pas hésité à solliciter, dans un passé récent et sans vergogne, le fonds de solidarité, pour tenter de payer les factures de chauffage de Buckingham, comme  un précédent billet l’a montré.

Néanmoins il serait injuste et faux de nier la ferveur populaire qui s’est développée pendant ces quatre jours. Et tous ces Britanniques qui se sont retrouvés attablés dans la rue, au cours des célèbres street parties, si proches dans l’esprit des apéritifs et repas de voisins continentaux, semblaient se soucier plus de la joie d’être ensemble que de cette icône lointaine qu’est leur actuel souverain.

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