Un mois s’est écoulé qui semble une éternité depuis les élections législatives du 6 mai au Royaume-Uni. Gordon Brown est retourné dans son Ecosse natale, avec son air éternel de Droopy et son irrésistible décrochement de la mâchoire inférieure pendant ses lugubres discours. Un mois et l’étonnant attelage Cameron-Clegg laisse toujours perplexes les observateurs politiques, d’autant que leur numéro de duettistes a engendré de nouvelles interrogations ce week-end. Pendant que le premier ministre, David Cameron, expliquait au Sunday Times que le proche avenir était fait de sacrifices, avec une volonté très churchillienne, le vice-premier-ministre, Nick Clegg, quant à lui, affirmait haut et fort à Andrew Rawnsley, éditorialiste de l’Observer, que les coupes budgétaires sauvages des années Thatcher appartenaient définitivement au passé.
Et pendant ce temps-là le parti travailliste retourne aux affaires courantes, avec moins de vague à l’âme que prévu, car le Labour a encore 258 députés, ce qui, au vu de l’extrême impopularité de Gordon Brown et de l’héritage de Blair, est même surprenant. Brown ayant quitté non seulement Downing Street mais aussi la direction du parti travailliste, les différentes écuries se préparent à l’élection d’un nouveau leader, qui aura lieu le 25 septembre lors de la traditionnelle Annual Labour Party Conference. A ce jour il y a six candidats déclarés, tous ministres ou secrétaires d’état sortants : Diane Abbott, la seule femme jusqu’à présent, Andy Burnham, John McDonnell, Ed Balls, Ed Miliband et David Miliband.
Ce sont ces deux dernières candidatures qui vont rendre le scrutin pittoresque, parce que ce sont deux frères de sang qui s’aiment, s’apprécient et s’estiment, et non pas, comme on pourrait être tenté de le croire, parce que ce sont deux frères ennemis. Dans l’édition du 18 mai du Guardian, le journaliste Stuart Jeffries a d’ailleurs insisté sur cette particularité. Les deux frères ont l’un pour l’autre un grand respect, fait de complicité. Rien à voir avec les frères Hitchens, deux célèbres journalistes conservateurs : fâchés depuis cinq ans, l’un des deux, Peter, répondant à une question du Guardian, lors du festival littéraire de Hay, pour savoir s’il est ami avec Christopher, son frère, a déclaré, avec un humour très stalinien : We must be brothers because you can choose your friends.
David, l’aîné, a 45 ans. Il a commencé sa carrière politique comme conseiller auprès de Tony Blair de 1994 à 1997 dans l’opposition puis à Downing Street jusqu’en 2002, sans être inféodé au blairisme et sans faire partie du cercle des blairites inconditionnels. Il a été ensuite secrétaire d’état à l’éducation chargé des niveaux scolaires, de 2002 à 2004, ministre d’état sans portefeuille jusqu’en 2005, ministre des collectivités locales jusqu’en 2006, enfin ministre des affaires étrangères de 2006 à 2010. C’est un homme d’appareil, qui n’a pas fait un cheminement universitaire de grand éclat et a travaillé très tôt dans l’ombre du pouvoir. Il a été élu député, en 2001, dans la circonscription de South Shields, dans le comté de Tyne and Wear. Il est très indépendant de tout courant au sein du Labour, pour preuve son blog, où Blair n’est mentionné qu’une fois et Brown pas du tout.
Edward Miliband a 41 ans. Il est député de la circonscription de Doncaster North, dans le South Yorkshire depuis 2005. Avec un parcours universitaire un peu plus brillant, puisqu’il a été successivement diplômé d’Oxford, puis de la London School of Economics, il a entamé, très jeune, une carrière de journaliste avant de devenir la « plume » de Harriet Harman (patronne du Labour depuis la démission de Gordon Brown), puis de Gordon Brown, dans le gouvernement fantôme puis à Westminster. Ed Miliband a été chancelier du duché de Lancastre, c’est-à-dire ministre d’état sans portefeuille puis secrétaire d’état à l’énergie entre 2007et 2010.
Ed et David Miliband ont siégé ensemble dans le même gouvernement, sous la direction de Gordon Brown, détail pittoresque qui n’a pas échappé aux historiens, puisque cette situation ne s’était pas renouvelée depuis 1938, avec les frères Stanley. Ils sont les fils du théoricien et philosophe marxiste Ralph Miliband, disparu en 1994, qui était, tout comme son épouse Marion Kozak, issus de parents juifs polonais ayant échappé au ghetto de Varsovie. Voilà pour ce que l’on sait généralement des frères Miliband. Ce que l’on sait moins, de ce côté-ci de la Manche, c’est que le futur leader du Labour est élu par une assemblée composée des parlementaires travaillistes, nationaux et européens, des membres individuels du parti et des associations et syndicats membres du Labour.
Dans cette assemblée le PLP, Parliamentary Labour Party, constitué par les 258 députés fraîchement élus, est majoritaire. Or, à ce jour, Ed a 19% de ce que l’on peut considérer comme des promesses de vote et David 24%. Donc, compte tenu des excellentes relations fraternelles qui règnent chez les Milibands, les militants travaillistes doivent s’attendre à être dirigés par un Miliband, car, quel que soit le cas de figure, que l’un tombe à l’eau ou qu’ils restent tous deux dans le bateau, le total est à plus de 43%, ce qui place le concurrent le plus proche, Ed Balls, très loin derrière avec 12%.