C’est un reportage étonnant que le journaliste Scott Anderson et la photographe Stephanie Sinclair ont réalisé pour le n° de février 2010 du mensuel américain National Geographic. Ils se sont rendus à Colorado City, au cœur de l’Arizona, un des deux bastions-jumeaux, avec Hildale, qui se trouve dans l’état voisin, l’Utah, de la FLDS, Fundamentalist Church of Jesus-Christ of Latter-Day Saints, littéralement l’Eglise Intégriste de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours.
La FLDS est née, en 1935, d’une scission d’avec l’Eglise Mormone, qui fixa un ultimatum à ses fidèles : renoncer à la polygamie ou être excommunié. A Hildale comme à Colorado City, unique communauté géographique de Short Creek, qui compte désormais 6.000 membres – ils sont 38.000 au total répartis entre le nord des Etats-Unis et le Canada -, le refus fut unanime et l’ex-communication totale. Qu’importe à ces détenteurs de la vérité divine ! Puisque, selon Joe Jessop, « c’est pour se multiplier, remplir la terre et bâtir le royaume de Dieu. »
Joe Jessop a 88 ans, 5 épouses, 46 enfants et 239 petits-enfants. C’est un des aînés de Short Creek, mais pas la référence suprême. Non, le « prophète », le « représentant de Dieu sur terre » c’est Warren Jeffs, bien connu en dehors de la dite communauté, parce qu’il a, depuis plusieurs années, la fâcheuse habitude de compléter le nombre extravagant de ses épouses –80 selon l’administration fédérale- avec des mineures, dont la caractéristique majeure, en dehors du fait qu’il arrive qu’elles aient moins de 15 ans, est qu’elles ne soient pas du tout consentantes, comme l’a prouvé la justice américaine.
Les hommes sont, donc, les maîtres absolus de cette secte, à l’exception des adolescents, qui, voyant les compagnes potentielles de leurs premiers émois happées par leurs aînés, ne sentent pas du tout à l’aise dans cet étrange carcan. Mais que dire du sort des femmes de la FLDS ? Elles sont à la disposition des hommes pour « peupler le royaume de Dieu » et demeurent dans des tâches subalternes, obligées d’arborer la même coiffure et de porter ces robes longues identiques, qui les font ressembler aux compagnes des premiers colons de la conquête du nouveau monde, à peine sorties du Mayflower.
Pas de télévision, pas de presse écrite, pas de nourriture qui ressemble de près ou de loin au fast food, à Colorado City et Hildale, mais, en revanche on utilise généreusement l’internet et on roule en 4x4. Depuis 1935 les autorités de l’Arizona et de l’Utah exercent une vigilance incessante sur la FLDS, qu’il s’agisse de l’éducation des enfants, de la condition des femmes ou des titres de propriété, qui demeurent flous au fil du temps. Scott Anderson indique qu’il est très rare que la FLDS accepte de s’adresser à des journalistes, ce qui laisse le lecteur dubitatif sur les pressions qu’il a sans doute subies. Anderson ne dit rien sur les choix politiques à Short Creek. Mais il n’y a aucun choix à Short Creek, sauf pour les hommes adultes. Anderson a intitulé son reportage The Polygamists, tout simplement une autre planète. Les photos de ce reportage sont visibles sur les deux liens suivants.