Nous savions que l'ex-président Giscard avait une affection toute particulière pour les invitations à dîner, qu'il avait largement suscitées, dans les familles de la France profonde. Nous savons également que l'actuel occupant de l'Elysée n'hésite pas à téléphoner aux journalistes, non seulement ceux qu'il tutoie et qui s'en réjouissent, mais aussi et surtout ceux qui écrivent des articles qui lui déplaisent. Ainsi, entre autres exemples, a-t-il appelé plusieurs fois, depuis son élection, le dessinateur du Monde, Plantu, qui n'est pourtant pas un révolutionnaire, pour lui dire qu'il n'aimait pas du tout les mouches qui volaient autour de lui dans ses dessins. Les mouches ont disparu, mais pas la pratique. Le premier ministre britannique, Gordon Brown, téléphone lui aussi.
C'est ce que révèle son homonyme avec lequel il n'a aucun lien de parenté, Derek Brown, journaliste au quotidien britannique The Guardian, dans sa rubrique hebdomadaire. Mais il ne téléphone pas pour admonester, selon la pratique française, mais pour tenter de répondre et de convaincre. En effet, le premier ministre de sa gracieuse majesté a pris l'étrange habitude, lorsqu'il était chancelier de l'échiquier, de répondre à tous les sujets qui écrivent au gouvernement, pour exprimer leur inquiétude, leur désapprobation, ou plus simplement pour poser une question. Cette habitude, qui, d'après le Guardian, dure depuis dix ans, Gordon Brown l'a gardée en arrivant au 10 Downing Street. L'idée initiale était de discuter, avec tous les électeurs qui écrivent, du bien-fondé de ses décisions économiques . Elle perdure et étonne le microcosme politique.
Celles et ceux qui font l'objet de ces appels restent relativement discrets. Le Guardian a néanmoins appris que Wajid Rafique, qui habite la petite ville de Nelson dans le comté du Lancashire, faisait partie de la liste. Gordon Brown lui aurait dit qu'il est désolé pour ce qui s'est passé en Irak et qu'il entend retirer les troupes britanniques, scoop, à ce jour, non suivi d'effet. Un autre britannique, dont le Guardian ne révèle pas le nom, semble moins heureux. Lui ne parle pas du sujet abordé, mais signale qu'il a été réveillé à 6h du matin ! Ce qui a déclenché un commentaire sarcastique du député conservateur, Francis Maude, chancelier de l'échiquier dans le célèbre cabinet fantôme de l'opposition :" Je n'imagine rien de pire que d'être réveillé par Gordon Brown pour entendre des statistiques."
Selon les proches du premier ministre, cette pratique a pour but la reconquête de l'opinion. Quand on sait que le dernier sondage lui accorde 15% de satisfaits, la facture téléphonique risque d'être particulièrement élevée.