Etonnant parcours que celui de Zelda La Grange, cette sud-africaine de 37 ans, qui est désormais la plus proche collaboratrice de Nelson Mandela, après avoir été successivement sa secrétaire, sa gouvernante, son aide de camp, sa porte-parole, sa compagne de voyage, sa confidente et, selon la propre expression de Mandela, sa petite-fille honoraire. Elle dit elle-même que seule Graca Michel, la troisième épouse de l'ex-président sud-africain, passe plus de temps qu'elle avec lui. A la fin du mandat présidentiel de Mandela, en 1999, elle est devenue la gardienne de sa demeure, au sens propre du terme, véritable cerbère incontournable, avec qui il faut composer si l'on veut rencontrer la légende vivante, que l'on s'appelle Bill Clinton, David Beckham, Elton John ou Robert de Niro.
John Carlin, journaliste au célèbre journal dominical britannique The Observer, l'a rencontrée à Londres, et en rend compte dans l'édition du 8 juin. A priori rien ne prédisposait cette jeune femme à travailler un jour auprès du symbole vivant de la lutte contre l'apartheid. Née dans une famille blanche afrikaner de classe moyenne aisée, Zelda a été élevée dans l'esprit de l'apartheid, dans une maison cossue d'un faubourg nord de Pretoria. On se reconnaissait volontiers dans la ligne politique du National Party, et, chaque dimanche, la famille se retrouvait à l'église réformée hollandaise. Sa mère était enseignante. Son père, qui était cadre supérieur aux Brasseries sud-africaines, vient lui annoncer, le 11 février 1990, alors qu'elle nage dans la piscine familiale, la libération de Mandela dans les termes suivants :"Nous sommes dans le pétrin. Ils ont libéré le terroriste!" Zelda, à cette époque, ne peut guère être plus éloignée de Mandela.
Or, c'est justement à cette époque que Zelda, qui avait vingt ans, songe à chercher un emploi de secrétaire de direction, qui lui assurera l'indépendance qu'elle souhaite vis-à-vis de ses parents et lui permettra de payer le loyer de l'appartement qu'elle a trouvé. La période de transition au pouvoir engendre des créations d'emplois administratifs. Elle pose sa candidature, par hasard plus que par conviction, et se voit embauchée au service économique de la nouvelle présidence. Remarquée par la secrétaire de Mandela, elle se retrouve, après un entretien, dans son équipe de direction.
Elle travaille depuis deux semaines, nous sommes en août 1994, lorsqu'elle croise, pour la première fois, le nouveau président dans un couloir. Elle est tellement impressionnée – parce qu'elle a commencé à lire et à écouter sur le personnage -, et elle ressent, dit-elle, un telle culpabilité vis-à-vis de cet homme à qui les sud-africains blancs ont volé 27 ans de sa vie, qu'elle fond en larmes. Nelson Mandela, ému par cette réaction, lui parle longuement, lui confie une nouvelle tâche le lendemain, puis l'associe bientôt à tous ses voyages présidentiels. Deux ans plus tard, lorsqu'il vient en visite officielle en France, c'est elle et elle seule qui dirige tout et s'occupe de tout.
Aujourd'hui, Nelson Mandela ne fait rien, n'entreprend rien, dans sa retraite active, sans avoir consulté Zelda La Grange. Quant à la famille de cette dernière, elle est totalement revenue de ses préjugés et de ses positions rigides. Ce parcours pourrait ressembler à un conte de fées, mais montre surtout l'extraordinaire personnalité et la grandeur d'âme de Nelson Mandela. Quant à la réalité sud-africaine, il faut, pour tempérer l'enthousiasme, se référer à l'excellent article d'Achille Mbembe.