Cette collocation est liée à l'histoire de l'entreprise américaine UFCO, United Fruit Company, qui, à la fin du 19ème siècle, a commencé l'exploitation des fruits et, en particulier de la banane, dans plusieurs pays d'Amérique centrale. Ce furent, tour à tour, le Costa Rica, Cuba, le Nicaragua, le Panama, et surtout le Guatemala, où fut installé le siège de l'entreprise, qui devinrent les cibles d'exploitation de l'UFCO.
L'origine de l'ingérance systématique est née au Guatemala, lorsqu'en 1944, les guatelmatèques décidèrent d'élire un socialiste, Juan Jose Arevalo Bermej, dont l'une des premières décisions fut d'exproprier l'UFCO, pour rendre les terres aux paysans sans terre. Contrariée par cette décision qui prive l'entreprise de ses énormes bénéfices, les dirigeants s'en remettent au gouvernement américain et, dix ans plus tard, la CIA, sous l'impulsion du secrétaire d'état John Foster Dulles, fomente un coup d'état, renverse Arevalo et place à la tête du Guatemala, un politicien fantoche à la solde du pouvoir américain, Carlos Castillas Armalas. L'UFCO retrouve ses prérogatives. Le concept de république bananière est né et va progressivement s'étendre à une grande partie de l'Amérique latine.
Lorsque, entre autres exemples, en 1973, sous la houlette du secrétaire d'état Kissinger, curieusement récompensé la même année du prix Nobel de la paix, la CIA organise le renversement et l'assassinat de Salvador Allende, président démocratiquement élu, pour le remplacer par le sinistre dictateur Augusto Pinochet, nous sommes dans l'extension du phénomène de république bananière. En d'autres termes, les Etats-Unis, chaque fois que les intérêts commerciaux et financiers d'une multinationale américaine ont été menacés, n'ont jamais hésité à susciter les dictatures et le fascisme pour les mettre à l'abri des régimes démocratiques. L'expression "république bananière" est donc associée à la manipulation de la démocratie à des fins partisanes ou personnelles.
Le concept a voyagé dans le temps et dans l'espace et concerne tous les comportements politiques qui privilégient les intérêts d'un groupe restreint aux dépens d'une majorité. La démocratie est considérablement affaiblie par ces pratiques moyenâgeuses qui ont largement atteint non seulement l'Europe occidentale dans son ensemble, mais aussi la République française. Qu'un président de la République ait pu cacher l'existence d'une fille illégitime avec la complicité objective d'une partie de la presse, qu'il l'ait installée avec sa mère dans un des palais de la République, qu'il ait fait mettre sur écoute plusieurs personnalités, dont un journaliste que nous apprécions pour son talent et sa personnalité, sans avoir jamais consulté ni son gouvernement, ni le parlement, tout ceci relève du concept de république bananière.
Qu'un de ses successeurs ait choisi de faire embaucher une de ses protégées par l'AFP, alors qu'elle n'était pas plus journaliste que la reine d'Angleterre, relève également du même concept. Qu'un autre successeur pratique une collusion permanente et extrêmement choquante entre pouvoir politique et intérêts financiers privés, qu'il veuille intervenir sur tout à tort et à travers, qu'il confonde le résultat d'une élection présidentielle, fût-elle majoritaire, avec le choix permanent de l'article 16 de la constitution du 4 octobre 1958 qui confère les pleins pouvoirs, tout ceci relève du concept de république bananière. Outre les généraux Tapioca et Alcazar des aventures de Tintin, on voit mal qui pourrait servir de modèle et de référence à tous ces petits commis de l'histoire.