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Billet de blog 10 février 2012

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L'audiovisuel public et Sarkozy : la machine à remonter le temps

 Le document vidéo disponible sur le site des archives de l’INA, Institut National de l’Audiovisuel, montre un bref historique de la radio et de la télévision publique et nous rappelle un certain nombre de dates importantes dans ce cheminement.

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Le document vidéo disponible sur le site des archives de l’INA, Institut National de l’Audiovisuel, montre un bref historique de la radio et de la télévision publique et nous rappelle un certain nombre de dates importantes dans ce cheminement. La radiodiffusion a été créée en 1937, la RTF, Radiodiffusion Télévision Française, en 1945 et rattachée au ministère des Postes et Télécommunications, ce qui, rétrospectivement, semble assez cocasse. En 1974, le septennat de Giscard consacre l’éclatement de l’ORTF, l’introduction de la publicité et de la couleur et la concurrence présumée entre les chaînes. En 1982, lors du premier septennat de François Mitterrand, la Haute Autorité voit le jour. Elle sera suivie, cohabitation oblige, par la CNCL, Commission Nationale des la Communication et des Libertés – ce dernier mot prend toute sa saveur quand on connaît la dépendance de l’audiovisuel public par rapport au pouvoir exécutif – dite également loi Léotard, mais il est fort probable que cette dernière appellation ne survivra pas à l’affaire Karachi. Enfin, en 1989, le CSA, Conseil Supérieur de l’Audiovisuel apparaît dans le paysage.

L’actuel président de la République ayant décidé de nommer, lui-même, les responsables de la radio et télévision publiques, ce qui ne figurait absolument pas dans les promesses de sa campagne de 2007, le CSA, présidé par un ex-directeur de cabinet de Jean-Pierre Raffarin, Michel Boyon, et composé de 9 membres – dont seulement 3 femmes – est réduit, de fait, à un rôle de figurant. Or, à bien examiner la vidéo de l’INA, on y trouve des exemples extrêmement édifiants qui montrent que le pouvoir exécutif actuel non seulement est dans la droite ligne de ce qui s’est toujours pratiqué, mais également a l’indécence suprême de ramener l’audiovisuel public à un état de dépendance digne d’une république bananière. Ainsi, le 21 avril 1963, on voit Alain Peyrefitte, ministre de l’information, titre déjà lourdement révélateur, venir expliquer aux téléspectateurs ce que sera désormais l’information télévisée.

Nicolas Sarkozy n’a rien inventé. Il nous ramène simplement au Moyen-Âge de l’audiovisuel. Lors de ses interventions, il est au centre de l’écran, il choisit ses interlocuteurs, bref il considère qu’il est chez lui. Tout comme Alain Peyrefitte, en avril 1963, qui a pris la place du présentateur du journal télévisé au centre de l’écran, place d’ordinaire tenue par les regrettés Georges de Caunes ou Claude Darget entre autres. L’exécutif était déjà chez lui, en 1963. Léon Zitrone, réduit, sans que cela lui fasse violence, au rôle de faire-valoir, sorte de Nestor sans la livrée et les gants blancs, a été relégué à la droite du ministre et de l’écran. Le ton qu’il utilise est plein de respect obséquieux, on s’attend, à tout moment, à ce qu’il offre à boire au ministre. Il est devenu un laquais, alors qu’il est chez lui, dans la maison de l’information, en tant que journaliste professionnel.

Sur la même vidéo, on voit et entend Georges Pompidou lancer avec son habituelle emphase, en 1969, lors d’une mémorable conférence de presse : « L’ORTF, c’est la voix de la France ». Entendez par là, bien sûr, ceux qui dirigent la France, mais non pas ceux qui la composent, qui votent, qui constituent le tissu quotidien. Donc, l’actuel président de la République ne fait preuve d’aucune originalité, auquel cas c’eût été remarqué depuis cinq ans, il prolonge, sans vergogne et sans complexe, une pratique régalienne, que ses prédécesseurs pratiquaient avec plus d’hypocrisie et qui relègue la France aux oubliettes du progrès citoyen. Au Royaume-Uni, par exemple, qui est pourtant loin d’être une référence dans tous les domaines, surtout depuis 2010, la BBC est indépendante – et tente de préserver cette indépendance non sans difficulté – et les différents directeurs de chaînes sont co-optés et désignés sans que le pourvoir exécutif se mêle de quoi que ce soit.

Pour bien comprendre le sens politique de la démarche de Nicolas Sarkozy, il faut lire l’excellent ouvrage de Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, Le président des riches, et notamment cette analyse judicieuse (Editions La Découverte, 2011, p.10): « Parmi les armes dont disposent les puissants, il faut ajouter, aux forces de l’ordre et à la propriété des moyens de production, le savoir, et notamment celui de la finance mathématisée. Le glaive et l’usine perdent de leur efficacité au profit des logiciels et des ordinateurs. Financiarisé et mondialisée, le système économique ne profiterait-il qu’à ceux qui possèdent les codes d’accès à cette nouvelle planète, unifiée sous l’impérialisme de l’argent ?...Mais, pour que cela soit accepté et acceptable, il faut encore que les puissants investissent dans les médias pour contrôler les cerveaux. Dans le magma indistinct de la pensée contemporaine, la lutte des classes est renvoyée aux poubelles de l’histoire. »

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