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Billet de blog 10 octobre 2012

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Octobre 1962 : naissance de la culture moderne ?

Photo : Harry HammondLe 5 octobre 1962 la BBC, alors unique voix du Royaume-Uni, diffusa une aimable bluette, Love, love me do, d’un groupe alors totalement inconnu, The Beatles, et propagea, sans même le savoir vraiment, les balbutiements d’une révolution culturelle qui ouvrait les portes d’une ère nouvelle.

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Photo : Harry Hammond

Le 5 octobre 1962 la BBC, alors unique voix du Royaume-Uni, diffusa une aimable bluette, Love, love me do, d’un groupe alors totalement inconnu, The Beatles, et propagea, sans même le savoir vraiment, les balbutiements d’une révolution culturelle qui ouvrait les portes d’une ère nouvelle. Certes les paroles de cette chanson ne resteront pas dans les annales de la pensée contemporaine et Love, love me do se contentera pour commencer d’une modeste dix-septième place dans les charts, mais le son Beatles était né et une nouvelle génération allait s’accrocher à cet étendard pour mieux oublier et enterrer les tristes fifties consécutives à la seconde guerre mondiale. Deux journalistes du Guardian ont évoqué, de manière différente, cet anniversaire.

Robert McCrum, dont on peut lire l’article ici,  fait du 5 octobre 1962 le début de la culture moderne. Hunter Davies, devenu par la suite biographe des Beatles, y a vu un événement planétaire qu’il explique avec humour à ses petits-enfants. Son article est à lire ici. Le premier considère que c’est le véritable point de départ des années 1960. Certes 1960, elle-même, ne l’a pas trop déçu, puisqu’il y eut successivement la déclaration de candidature de JFK, en janvier, puis son élection d’un cheveu en novembre, ainsi que la reconnaissance, en février, de la fin de l’empire britannique par le toujours très lucide et très busterkeatonien Harold MacMillan, qui sentit the winds of change sur le continent africain aspirant à la décolonisation. Comme on n’oublie jamais le Royaume, en toutes circonstances, McCrum ne peut passer sous silence cet autre événement interplanétaire de février 1960, l’annonce des fiançailles de feu la princesse Margaret avec un roturier, photographe de son état, Anthony Armstrong-Jones.

Un accessit est accordé à 1961, clap de fin programmée de la gérontocratie incarnée par Eisenhower et Kroutchev, qui va continuer à s’accrocher, mais 1962 remporte la palme. Côté littérature c’est la fin de la censure sur Lady Chatterley’s lover, hommage posthume pour D.H. Lawrence, c’est le début de la célébrité pour un autre auteur plein d’humour, Philip Larkin, romancier, poète et amateur de jazz, ainsi que pour les working-class writers tels que Stan Barstow qui voit son roman A Kind of Loving adapté pour le cinéma. Lequel cinéma voit apparaître de nouveaux visages, la nouvelle vague britannique, dont le talent rejaillit sur tout le Royaume-Uni, Tony Richardson, Karel Reisz et John Schlesinger, qui donnera, cinq ans plus tard, une époustouflante adaptation cinématographique du roman de Thomas Hardy Far from the Madding Crowd.

En février de cette même année John Glenn fait trois fois le tour de la terre dans sa capsule spatiale. En avril Brian Jones, avant de finir, quelques années plus tard, complètement stoned dans sa piscine, devient un des Rolling Stones après sa rencontre avec Michael Jagger et Keith Richards dans un club de jazz de Ealing, dans la banlieue ouest de Londres. En avril aussi un chanteur américain, Bob Dylan, sort de l’anonymat après avoir enregistré Blowing in the Wind. En juin la construction du mur de Berlin entre dans sa deuxième phase. Le 5 août Marilyn Monroe s’en va, victime d’un mélange de Nembutal, de Kennedy, de solitude et de malheur. Le lendemain, le 6 août 1962, l’avocat sud-africain Nelson Mandela est arrêté pour ce que le régime de l’apartheid appelle du sabotage, il échappe à la potence et est condamné à la prison à vie.

Le 22 août, quelques mois après les accords d’Evian qui consacrent l’indépendance de l’Algérie, le général de Gaulle échappe à la mort, au Petit-Clamart, et à un attentat fomenté par un lieutenant de l’armée de l’air, membre de l’OAS, Jean-Marie Bastien-Thiry, qui sera aussitôt arrêté et fusillé en mars 1963 et qui n’a sans doute jamais lu le magistral éditorial de Sirius dans Le Monde du 20 mars 1962 : « Sans vaines récriminations, il convient de n’évoquer aujourd’hui le passé que pour en tirer les leçons utiles à la construction de la paix… ». Le lundi 1re octobre James Meredith est le premier étudiant noir américain à entrer, non sans difficulté, dans l’Université du Mississippi entièrement réservée aux blancs. En ce même 5 octobre, James Bond / Sean Connery a commencé son manichéen et cinématographique combat contre les vilains et les méchants, bien sûr extérieurs au monde occidental, tout en prenant le temps de regarder Ursula Andress sortir de l’eau.

Le 11 l’église catholique sous la houlette de Jean XXIII entreprend, étonnamment, un processus de libéralisation et de réflexion sur la sexualité et les relations au sein du mariage à travers le concile Vatican II, véritable tremblement de terre dont le très conservateur Benoît XVI continue de ressentir les répliques. Le 14 un avion espion américain photographie les sites de lancement de missiles nucléaires installés à Cuba, la planète retient son souffle et feu France Soir titre en « une », en caractère 72 Le monde au bord de la troisième guerre mondiale. Le Labour Party lance (déjà !) son slogan Ban the Bomb. Deux avocats, Peter Benenson et Sean McBride créent Amnesty International. Pendant tout le mois d'octobre l'exposition The Complete Graphic Work of Edward Hopper au Philadelphia Museum of Art connaît un immense succès et consacre la notoriété de Hopper, cinq ans avant sa mort.

En novembre 1962, le candidat battu aux élections présidentielles américaines de 1960, Richard Nixon est battu de nouveau dans l’élection au poste de gouverneur de Californie et déclare gravement, lors d’une conférence de presse : You won’t have Nixon to kick around any more, because, gentlemen, this is my last press conference, ce qui signifie : Vous ne verrez plus Nixon traîner dans le coin, parce que, messieurs, c’est ma dernière conférence de presse, formule américaine anticipée de : « Si je perds cette élection vous n’entendrez plus parler de moi »…

En décembre Anthony Burgess publie un roman que Stanley Kubrick va amplifier pour le cinéma, Clockwork Orange (Orange Mécanique). Dean Acheson, ex-secrétaire d’Etat américain porte une cruelle estocade à ses amis britanniques : Great Britain has lost an empire and has not yet found a role, La Grande-Bretagne a perdu un empire et n’a pas retrouvé un rôle. John Lennon a vingt-deux ans, Paul McCartney a vingt ans, et, l’on retiendra que, dans une atmosphère inachevée de guerre froide, depuis ce 5 octobre 1962, il y a un nouveau style, un nouveau langage, un nouveau rythme. La société britannique se libère d’un carcan. Les mœurs se libéralisent, la pilule contraceptive est en vente au Royaume-Uni depuis janvier 1961, la mode évolue, les rapports humains changent, les Beatles ont ouvert une brèche. Une fois n’est pas coutume cette rétrospective contredit la phrase introductive du roman de L.P. Hartley, The Go-Between, adapté au cinéma par Joseph Losey :The past is a foreign country. But not in this case…

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