S’il semble de plus en plus probable que le Labour puisse gagner les prochaines élections législatives au Royaume-Uni, en revanche le nom du futur premier ministre travailliste paraît plus incertain depuis la fin de la semaine dernière. En effet une fronde, parmi les backbenchers, littéralement les députés qui siègent sur les bancs du fond, c’est-à-dire celles et ceux qui ne sont pas des habitués des micros, des caméras, des plateaux de télévision et des studios de radio, bref les méconnus plutôt que les inconnus de la chambre des communes, prend de l’épaisseur. Le principal intéressé, Ed Miliband, actuel leader du Labour, a répondu d’un revers de main avec mépris, puis deux membres éminents du cabinet fantôme, Yvette Cooper, chargée de l’intérieur, et Andy Burnham, responsable de la santé, sont rapidement montés au créneau pour affirmer, avec détermination, que tout ceci n’était qu'un tissu de mensonges, comme le montrent cette vidéo et cet article du Guardian du 7 novembre.
Pourtant l’Independent et le Telegraph du même jour ont donné une tout autre interprétation, puisque le premier affirme que Miliband se bat avec les frondeurs, tandis que le quotidien conservateur prétend qu’il négocie avec ceux-là mêmes qui voudraient son départ pour obtenir leur soutien. Deux titres de « une » qui, d’une part, avalisent donc la fronde que Miliband semblait nier et considérer avec mépris, et, d’autre part, montrent que le chef des travaillistes non seulement ne fait pas l’unanimité, mais en plus nourrit une certaine inquiétude quant à son avenir à la tête du parti. Mais, dans l’édition du Guardian du 8 novembre, le ton et les explications ont totalement changé sur ce qui était initialement considéré avec mépris et « digne d’aller à la poubelle. »
Cette fois il ne s’agit plus d’un nombre indéterminé de backbenchers, mais de vingt députés, dont plusieurs membres du shadow cabinet, dont l’identité n’est cependant pas révélée, et là il s’agit d’un fait grave qui montre que les informations des jours précédents n’étaient en rien des hypothèses fragiles. Circonstance aggravante les « rebelles » ont une solution de rechange, en la personne de Alan Johnson, député de la circonscription du nord-est du Royaume-Uni, Kingston-upon-Hull West and Hessle depuis 1997, respectivement et chronologiquement ministre de la santé, ministre de l’éducation et ministre de l’intérieur dans les gouvernements Blair et Brown. Alan Johnson envisageait très sérieusement d’être candidat à la direction du parti travailliste, en 2010, pour finalement se ranger (détail de grande importance au vu des évènements en cours) derrière son ami David Miliband, battu sur le fil, de façon inattendue, comme on le sait, par son jeune frère Ed.
Le parti travailliste a déjà connu ce type de situations et ce genre de soubresauts, ce qui rend les dénégations de moins en moins crédibles au fil des heures. Le manque de charisme et d’autorité d’Ed Miliband a déjà été souligné à maintes reprises. Son alignement inconditionnel sur les positions de David Cameron, lors du référendum sur l’indépendance de l’Ecosse, a été difficile à avaler pour les militants travaillistes. Enfin certains chiffres poussent à l’urgence chez les travaillistes, où Alan Johnson est très populaire et très apprécié parmi les élus et les militants : alors que tous les sondages accordent 33% d’intention de vote au Labour contre seulement 29% aux Tories, seuls 22% des électeurs britanniques font confiance à Ed Miliband, et ils ne sont que 49% parmi les électeurs travaillistes. Donc une lettre émanant des backbenchers pour demander la démission d’Ed Miliband semble imminente, solution que son frère David va contempler avec satisfaction depuis New York, où il dirige l’International Rescue Committee, après sa démission du parlement en mars 2013.
Dernier épisode en date, Neil Kinnock, désormais Lord Kinnock, ex-leader travailliste entre 1983 et 1992, s’en est pris aux rebelles anonymes, sur les ondes de BBC Radio 4, dans l’émission The World This Week-End, hier, 9 novembre, en déplorant a tendency towards political suicide, littéralement une tendance (de la part des frondeurs) au suicide politique. Un son de cloche sensiblement différent de la part d’Alistair Darling, ex-chancelier de l’échiquier, qui, dans les colonnes du Sunday Times, dans l’édition du 9 novembre, a exhorté Miliband à aller de l’avant : The best way of dealing with adversity is to lead. The best form of defence is attack. So attack. On all fronts. Ce qui signifie : Le meilleur moyen d’affronter l’adversité est de s’affirmer en tant que chef. La meilleure façon de défendre est d’attaquer. Alors attaquez ! Sur tous les fronts. Un étrange soutien, en vérité, car l’analyse pragmatique et le pré-supposé des propos d’Alistair Darling impliquent que, pour ce dernier, Miliband n’a donc pas d’autorité pour l’heure. A suivre donc.