Stuart McPhail Hall, de son nom complet, est mort le 10 février à Londres. Pratiquement inconnu sur le continent, il était une authentique référence au Royaume-Uni, où il était considéré sinon comme le créateur, tout au moins comme l’inspirateur principal du multiculturalisme. Né en 1932 à Kingston, en Jamaïque, d’un père jamaïcain et chef comptable à United Fruit — où tous les autres emplois étaient occupés par des blancs — et d’une mère d’origine européenne, Stuart Hall reçut, avec succès, ce qu’il appellera lui-même une éducation anglaise classique qui lui permit de gagner, en 1951, une récompense sous la forme d’une bourse de la fondation Rhodes pour commencer des études supérieures à l’université d’Oxford.
Three months at Oxford persuaded me that it was not my home, I’m not English and I will never be, déclarait-il au Guardian, en 2012, sans pourtant n’être jamais retourné vivre en Jamaïque. Cette déclaration est à rapprocher d’une autre, très forte et réaliste, qui ne lui fit pas que des amis au Royaume-Uni : The very notion of Great Britain's 'greatness' is bound up with empire, ce qui signifie la notion même de "grandeur" de la Grande Bretagne est liée à l’empire. Il se spécialisa en littérature avant d’opter pour la sociologie et l’activité politique. En 1958, il abandonna une thèse en cours, dont l’objet était Henry James, pour devenir le fondateur et rédacteur en chef de New Left Review, en commençant à réfléchir à des thèmes divers tels que l’immigration, la politique identitaire et la société multiculturelle, avec de nombreux intellectuels, parmi lesquels Ralph Miliband, le défunt père d’Ed Miliband, actuel chef du parti travailliste. Le déclic de cette prise de conscience politique fut double et date de 1956, et plus précisément de l’invasion de la Hongrie par les troupes soviétiques, ainsi que de la crise de Suez. En 1961, il accepta un poste d’enseignant dans le quartier de Brixton, expérience qui forgea définitivement sa passion pour la culture populaire
En 1964, Richard Hoggart, qui, avec Raymond Williams et Ralph Miliband, faisait partie des figures de la gauche de l’après-guerre, lui proposa d’être son adjoint pour diriger le Centre for Contemporary Cultural Studies, à l’université de Birmingham. La même année, lors d’une marche pour le désarmement nucléaire d’Aldermaston à Londres, il fit la connaissance de Catherine Barrett, qui devint son épouse et une historienne de renom. En 1972, il prit la direction du CCCS. Son influence ne cesse de grandir à l’intérieur du Royaume-Uni et au dehors aussi, d’autant que ses travaux et publications rejoignent les préoccupations de Gramsci, Barthes, Foucault, Bourdieu et Norman Fairclough, entre autres.
En 1979, il devient professeur de sociologie à l’Open University, année de l’arrivée au pouvoir de Margaret Thatcher, dont il va combattre sans répit l’idéologie. Il sera même le créateur du mot thatcherism, qu’il décrit comme authoritarian populism. Il sera ensuite tout autant agacé, puis consterné par l’aspect politique que prend le New Labour de Tony Blair, qui lui semble le digne héritier de son tristement célèbre prédécesseur. Parmi les nombreux ouvrages qu’il a publiés, Culture, Media, Language (1980) et Politics and Ideology (1986), ainsi que le texte d’une conférence devenu, par la suite, un ouvrage, Encoding and Decoding the Television Discourse (1973). On peut, ici, écouter l’émission que Laurie Taylor avait enregistrée au domicile de Stuart Hall, le 21 mars 2011. Le hasard fait très mal les choses puisqu’au moment où un homme de fraternité entre les hommes et entre les nations disparaît, la haine, l’exclusion et tout ce qui a engendré les abominations du 20ème siècle reviennent sans vergogne.