Il semble désormais assez difficile d’imaginer que les réunions de famille vont être cordiales et joyeuses chez les Miliband. En effet, David Miliband, ex-ministre des affaires étrangères de Gordon Brown et maintenant installé à New York comme directeur général de l’association humanitaire International Rescue Committee depuis 2013, a toutes les raisons de ne pas avoir digéré la manière avec laquelle son jeune frère Ed lui a ravi, contre toute attente et par des reports de voix obscurs, le leadership du Labour en septembre 2010. Comme la vengeance est un plat qui se mange froid, même en famille apparemment, David Miliband a attendu son heure pour asséner un véritable coup de matraque à son frère Ed, sous la forme d’un entretien accordé à CNN, avant-hier mercredi 9 juin 2015.
David Miliband n’a pas pris de gants et semble avoir libéré sa fraternelle rancœur. On retiendra, entre autres, que le parti travailliste, sous la direction de son frère Ed, had turned the page backwards, entendez littéralement que le parti travailliste est revenu en arrière. C’est là une insulte suprême développée par les adeptes du changement et, en particulier de la célèbre nébuleuse New Labour. Si la critique est justifiée, l’angle d’attaque est surprenant car David Miliband n’a jamais été un blairiste inconditionnel et a montré une grande indépendance vis à vis de l’ex-premier ministre, lors de sa campagne pour prendre la tête du Labour en 2010. Néanmoins l’aîné des Miliband ne penche pas pour l’antienne « du passé faisons table rase » puisqu’il explique que la solution aurait dû être building on the strengths and remedying the weaknesses of the Blair years, c’est-à-dire construire l’avenir sur les forces des années Blair tout en corrigeant les faiblesses de cette même période.
Le présupposé évident de cette déclaration est que son frère Ed est l’unique responsable de cette déroute électorale, d’autant que, au lendemain des élections législatives David Miliband a dit au Times : All my worst fears were confirmed, mes pires craintes ont été intégralement confirmées. Il a pris soin de s’incliner devant la statue du commandeur, comme le relate le Guardian : It’s 50 years since Labour won a majority at a general election without Tony as leader. It’s important to have this in mind, La dernière victoire majoritaire du parti travailliste sans Tony comme chef remonte à cinquante ans {Harold Wilson}. C’est important d’avoir cela à l’esprit. Cette précaution oratoire doublée d’une amabilité à l’égard de Blair pourrait-elle signifier que David Miliband commence déjà à comptabiliser ses soutiens pour revenir jouer un rôle et n’entend pas rester les bras ballants à New York, en prenant part au débat, maintenant que la voie est libre en quelque sorte ? L’intéressé s’en défend*. D’autant qu’il n’a pas oublié, au passage, de ridiculiser David Cameron, son projet de référendum et l’éventuelle sortie britannique de l’UE, It’s almost like Britain would be resigning from the world, littéralement, c’est comme si la Grande-Bretagne démissionnait du monde.
David Miliband n’a pas manqué de donner quelques conseils au successeur de son frère, to find again that combination of economic dynamism and social justice, retrouver le mélange de dynamisme économique et de justice sociale. A ce jour, les prétendants au titre de leader du Labour sont trois à avoir obtenu le sésame des 35 parrainages de parlementaires travaillistes. Andy Burnham, député de la circonscription de Leigh dans la conurbation de Manchester et ex-ministre de la santé de Gordon Brown ; Yvette Cooper, ministre de l’intérieur du gouvernement fantôme travailliste et ex-députée de Pontrefact and Castleford, circonscription du Yorkshire supprimée par les conservateurs ; et Liz Kendall, députée de la circonscription de Leicester West, dans le Leicestershire et certainement la candidate la plus crédible dont le discours inaugural au parlement, en 2010, Tackling Poverty in the UK, S’attaquer à la pauvreté au RU, avait beaucoup impressionné. Il leur faut désormais non seulement préparer 2020, mais surtout convaincre les électeurs britanniques que le Labour est toujours travailliste…
* On remarquera, une fois encore, que, contrairement à ce qui se passe de ce côté-ci de la Manche, au Royaume-Uni lorsque l'on est désavoué par un vote, on démissionne. C'est ce qu'a fait Ed Miliband, il y a quelques jours, en quittant la direction du parti travailliste. C'est également ce que son aîné avait fait en 2013, pour ne pas cumuler un poste de responsabilité et celui de député, une marque évidente d'honnêteté et de respect de l'électorat qui est élémentaire et qui semble aujourd'hui exceptionnelle, en raison du grand nombre de malfrats.