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Billet de blog 11 octobre 2013

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Tocqueville et Camus pour rafraîchir la mémoire de Hollande

Le 6 mai 2012 le suffrage universel a désigné un nouveau président de la République, mais force est de constater qu’il y a eu, depuis cette date, une totale continuité dans les orientations, les choix politiques et le maintien en place de bon nombre de gens nommés par le pouvoir précédent. A ce jour, la seule différence notable entre François Hollande et son prédécesseur est qu’il est mesuré

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Le 6 mai 2012 le suffrage universel a désigné un nouveau président de la République, mais force est de constater qu’il y a eu, depuis cette date, une totale continuité dans les orientations, les choix politiques et le maintien en place de bon nombre de gens nommés par le pouvoir précédent. A ce jour, la seule différence notable entre François Hollande et son prédécesseur est qu’il est mesuré et que la violence verbale de celui qui a occupé la fonction auparavant lui est étrangère, mais c’est bien là le seul changement. En effet François Hollande s’est glissé dans les institutions de la Vème République avec autant de délectation que François Mitterrand l’avait fait, malgré les réserves et les critiques acerbes que ce dernier avait formulées dans Le Coup d’état permanent. François Hollande est même allé un peu plus loin dans le renoncement, domaine dans lequel il semble n’avoir aucune limite, en affirmant, lors de la célébration surréaliste du cinquante-cinquième anniversaire de la constitution du 4 octobre 1958, qu’il n’avait jamais été favorable à la VIème République, contrairement à ce que ses prises de position de la campagne électorale avaient laissé espérer.

C’est donc le pouvoir personnel qui fascine, hélas, l’actuel président, tout comme il avait passionné son prédécesseur, mais, comme le malentendu ne peut que se prolonger avec l’électorat de gauche qui a renvoyé Sarkozy parce qu’il ne veut plus d’un monarque, d’un système où un seul individu, au mépris du parlement, décide de tout – incidemment, entre autres très nombreux exemples, François Hollande a cru bon d’envoyer un témoignage enregistré, lors du cinquantième anniversaire de France Culture, dans lequel il a chanté les louanges de Jean-Luc Hees, pdg de radio France obligeamment nommé par Sarkozy, alors que cette démarche de célébration, à l’égard de France Culture seulement, aurait dû échoir à la ministre de la culture, Aurélie Filipetti – il semble donc utile de conseiller à l’actuel président de relire, ou peut-être de lire tout simplement, De la démocratie en Amérique d’Alexis de Tocqueville, et plus particulièrement ce que ce dernier a écrit dans le huitième chapitre, Réflexions sur le régime présidentiel, de la première partie Le monde politique

Il est bien évident que ces considérations ont été rédigées en 1831 et concernent la démocratie naissante des Etats-Unis, mais leur universalité est telle que ces lignes n’ont pas pris une ride, hélas serait-on tenté de dire :

« …Ce qu’on reproche non sans raison au système électif, appliqué au chef de l’Etat, c’est d’offrir un appât si grand aux ambitions particulières, et de les enflammer si fort à la poursuite du pouvoir, que souvent, les moyens légaux ne leur suffisant plus, elles en appellent à la force quand le droit vient à leur manquer. Il est clair que plus le pouvoir exécutif a de prérogatives, plus l’appât est grand ; plus l’ambition des prétendants est excitée, plus elle trouve d’appui dans une foule d’ambitions secondaires qui espèrent se partager la puissance après que leur candidat aura triomphé…Plus la place qu’occupe le pouvoir exécutif dans la direction des affaires est vaste, plus un pareil état de choses est dangereux. »

Par ailleurs, comme François Hollande soutient son ministre de l’intérieur, et puisque l’on commémore le centième anniversaire de la naissance d’Albert Camus, il semble utile que les deux premiers nommés relisent l’éditorial d’Albert Camus dans Combat le 12 octobre 1944, à propos de l’ordre, vocable qui semble donner des frissons de bonheur  à Manuel Valls :

« …L’ordre est une notion obscure…De toute évidence celui dont on parle aujourd’hui est l’ordre social. Mais l’ordre social, est-ce seulement la tranquillité des rues ? Ce n’est pas sûr…L’insurgé qui, dans le désordre de la passion, meurt pour une idée qu’il a faite sienne, est en réalité un homme d’ordre parce qu’il a ordonné toute sa vie à un principe qui lui paraît évident. Mais on ne pourra jamais nous faire considérer comme un homme d’ordre ce privilégié qui fait ses trois repas par jour pendant toute une vie, qui fait sa fortune en valeurs sûres, mais qui rentre chez lui quand il y a du bruit dans la rue. Il est seulement un homme de peur et d’épargne. Et si l’ordre français devait être celui de la prudence et de la sécheresse de cœur, nous serions tentés d’y voir le pire désordre, puisque, par indifférence, il autoriserait toutes les injustices. De tout cela, nous pouvons tirer qu’il n’y a pas d’ordre sans équilibre et sans accord. Pour l’ordre social, ce sera un équilibre entre le gouvernement et ses gouvernés. Et cet accord doit se faire au nom d’un principe supérieur. Ce principe, pour nous, est la justice. Il n’y a pas d’ordre sans justice et l’ordre idéal des peuples réside dans leur bonheur. Le résultat, c’est qu’on ne peut invoquer la nécessité de l’ordre pour imposer des volontés. Car on prend ainsi le problème à l’envers. Il ne faut pas seulement exiger l’ordre pour bien gouverner, il faut bien gouverner pour réaliser le seul ordre qui ait du sens. Ce n’est pas l’ordre qui renforce la justice, c’est la justice qui donne sa certitude à l’ordre. »

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