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Billet de blog 11 octobre 2015

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Geoffrey Howe (1926-2015), le ministre docile qui fit chuter Thatcher

Une semaine après le travailliste Denis Healey, c’est un authentique paradoxe du parti conservateur qui l’a rejoint vendredi 9 octobre 2015. Sir Geoffrey Howe est mort d’une crise cardiaque, dans sa résidence du Warwickshire, au retour d’un concert de jazz.

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Une semaine après le travailliste Denis Healey, c’est un authentique paradoxe du parti conservateur qui l’a rejoint vendredi 9 octobre 2015. Sir Geoffrey Howe est mort d’une crise cardiaque, dans sa résidence du Warwickshire, au retour d’un concert de jazz. Paradoxe car Geoffrey Howe fut très longtemps le fidèle allié de Margaret Thatcher et l’exécutant docile de sa politique économique dévastatrice, d’abord comme chancelier de l’échiquier de 1979 à 1983, puis ministre des affaires étrangères de 1983 à 1989, et enfin chef de la majorité conservatrice de 1989 à novembre 1990. Puis, un beau jour — le 13 novembre 1990 —, lassé par l’entêtement de son premier ministre favori, Howe donna lecture à la chambre des communes de sa lettre de démission, une véritable déflagration, car, posément et avec un humour décapant, le fidèle d’autrefois se livra à un implacable réquisitoire contre celle que François Mitterrand avait surnommée « le rhinocéros ».  Le quotidien britannique The Independenta mis sur son site l’intégralité de son intervention, qui demeure, sur le fond et sur la forme, un chef d’œuvre. 

Outre l’admiration que ce discours engendra ce jour-là, nombreux furent les députés des deux bords politiques majeurs à rire aux éclats, à l’exception de Margaret Thatcher, figée dans un rictus qui traduisait une totale stupéfaction. Geoffrey Howe dénonça le refus du premier ministre de considérer calmement la monnaie européenne unique et la dramatisation excessive de la participation à l’UE sur la base délibérément trompeuse « d’abandon de souveraineté », une prise de position que David Cameron serait bien inspiré de ré-écouter attentivement. Au cœur de son intervention — à environ 15’10’’ sur la vidéo de l’Independent — Howe va lancer, pour illustrer le  comportement de son ex-mentor dans le débat sur la monnaie unique , cette métaphore empruntée au cricket,  flèche assassine qui va non seulement déclencher l’hilarité générale mais précipiter trois jours plus tard la fronde contre Thatcher et sa chute : It is rather like sending your opening batsmen to the crease, only for them to find, as the first balls are being bowled, that their bats have been broken before the game by the team captain, ce qui signifie : c’est comme envoyer les batmen en jeu en début de partie, alors que les premières balles sont déjà lancées, pour qu’ils s’aperçoivent que leurs propres battes ont été  brisées par le capitaine de l’équipe avant le début de la partie. Deux jours plus tard Michael Heseltine, secrétaire d’état à l’environnement, lançait la fronde qui devait conduire à la démission de Margaret Thatcher, le 22 novembre, et à la nomination au 10 Downing Street de John Major, qui, avec un courage héroïque, avait prétexté une rage de dents pour ne pas se mêler directement à ce soulèvement. Ainsi naquit la légende du quiet hero pour désigner Howe.

Né en décembre 1926 à Port Talbot dans le Pays de Galles, Geoffrey Howe suivit des études primaires et secondaires sans histoire dans plusieurs écoles privées dans le Worcestershire et le Hampshire, étudia le droit à Cambridge pour devenir avocat en 1952, puis avocat de la couronne en 1965. En 1970, après avoir été anobli et être donc devenu Sir Geoffrey, il devint procureur général du gouvernement de Ted Heath. Pour la petite histoire Geoffrey Howe était marié avec Elspeth Shand, tante paternelle de Camilla, duchesse de Cornouailles, jamais de mésalliance chez les Tories. Sa première tentative de candidature aux élections législatives, dans son Pays de Galles natal, en 1955, fut un échec et sa vie de parlementaire fut ensuite celle d’un parachuté permanent, député de Bebington, dans la péninsule de Wirral, de 1964 à 1966, puis de la circonscription cossue de Reigate de 1970 à 1974, enfin de la circonscription d’East Surrey de 1974 à 1992, année où il mit un terme à sa vie parlementaire et entra à la chambre des lords avec le titre de Lord Howe of Aberavon, dans le Pays de Galles. On retiendra que sa célèbre intervention aux communes a fait l’objet d’une pièce de Jonathan Maitland intitulée Dead Sheep, en référence à l’expression ironique de Denis Healey, qui, lors d’un débat parlementaire, avait déclaré qu’il avait eu l’impression d’être agressé par un dead sheep. La presse britannique a repris la même expression, hier, dans la nécrologie de Sir Geoffrey Howe, a quiet hero, un héros tranquille, qu’il s’agisse de l’Independent du Guardian, du Times. Étonnamment c’est le quotidien conservateur The Telegraph qui a été le plus féroce en parlant de reputed poodle, un caniche réputé. Réputé puis répudié par un rhinocéros qu'il exécuta en plein parlement. 

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