Nous étions prévenus, mais, néanmoins, l'insupportable ouragan a pénétré les ondes, les écrans, la vie quotidienne française depuis vendredi. Réjouissons-nous, nous n'avons pas eu droit à l'hélicoptère de France 2 en survol avec Jean-Paul Ollivier faisant l'historique de la papamobile, ni Jalabert sur une moto suiveuse pour détailler l'état de fraîcheur du maillot blanc. Pour respirer un peu il faudra attendre lundi ou se risquer à ouvrir en grand ses fenêtres pour hurler un libérateur "A bas la calotte !". Car dans cet étrange phénomène, qui a peu de choses à voir avec le choix individuel de conception de la vie, il y a deux aspects aussi intolérables l'un que l'autre : le tsunami médiatique et la dérive sémantique.
1) Le tsunami médiatiqueLe déferlement des images, des sons, avec une couverture médiatique d'une complaisance mielleuse, pourrait légitimement nous faire croire que nous sommes en Corée du Nord. Le chef d'une religion est promu comme un produit de consommation, sous l'influence de l'actuel président de la République, et les consommateurs potentiels sont contraints d'une part de consommer, même si tel n'est pas leur souhait, d'autre part de considérer qu'il s'agit là d'un produit unique. L'absence de présentations et de débats contradictoires est flagrante, pesante et déplacée, mais tout à fait dans la logique de la conception du pouvoir de Nicolas Sarkozy, qui fonde son action sur des coups, sans aucune distance, sans aucune réflexion, sans aucune idéologie.
Tantôt il est pro atlantique aux pieds du désolant George Bush, tantôt pro israélien à la Knesset, tantôt anglophile face à ce qui reste de Gordon Brown, tantôt admirateur de l'Allemagne devant l'européenne Angela Merkel, tantôt vulgairement familier avec les plus dangereux de la planète, Vladimir Putin, Bashir El Assad, et Muammar Khadafi. Quelle est la ligne suivie ? Il n'y en a pas, si ce n'est de se mettre invariablement en scène, d'être le centre d'intérêt. Et, dans tous les cas de figure, le tintamarre des medias dociles suit, parfaitement orchestré, ne laissant d'autre choix que l'adhésion grégaire à une pensée unique, un dogmatisme féroce et une réelle mauvaise foi, au sens propre comme au figuré.
Que pensent vraiment les catholiques fervents de cette mascarade ? Ceux et celles qui sont de toutes les luttes sociales, ceux et celles qui considèrent que leur engagement personnel n'a rien à voir avec ce déballage impudique. Par la loi des grands nombres, il doit y en avoir parmi les abonnés de Mediapart. Je ne parle pas de ceux qui sont prêts à allumer de nouveaux bûchers, qui confondent débats et insultes, qui prennent l'invective pour un argument solide. Non, je parle de ceux et celles qui ont choisi légitimement de croire et que l'on entraîne sur la voie de l'idolâtrie, aux antipodes de ce que la bible a dû normalement leur apprendre.
Les chaînes de télévision, les stations de radio, la presse écrite font de cette visite papale une tournée de rock star, dans un matraquage insupportable. Il aurait été judicieux, de la part de ces medias aux ordres, de faire quelques rappels salutaires pour bien situer l'église catholique : dire quelques mots de l'inquisition, des croisades, de la conquête de l'Amérique, du colonialisme (à ce sujet, on peut sur le lien suivant savourer les paroles de l'excellente chanson de Jean Ferrat publiée en 1969 et aussitôt interdite sur l'ex-ORTF, Le sabre et le goupillon ; on notera qu'en 2008 ce chef d'œuvre est toujours introuvable sur Dailymotion et sur Youtube, étonnant, non ? comme disait le regretté Desproges), de l'étrange passivité de Pie XII face au nazisme, de l'opposition farouche de Jean-Paul II, exhorté par son mentor de l'époque, une certain Ratzinger, contre la contraception, l'usage du préservatif et les libres choix de sexualité. Mais rien de tout cela, et, à ceci s'ajoute la dérive sémantique fort fâcheuse du président de la République.
2) La dérive sémantique :Dans ce domaine aussi, nous étions prévenus, préparés même. Ministre de l'intérieur, Nicolas Sarkozy nous avait déjà assénés un oxymore de bas étage, aussitôt repris et amplifié par les valets des medias, la discrimination positive. L'actuel président de la République devrait se limiter à son registre lexical habituel et plus conforme à l'image qu'il a donnée jusqu'alors : "racaille, karcher, casse-toi connard". Il a grand tort d'utiliser des mots trop savants dont il ne maîtrise pas le sens.
Car cette composition par juxtaposition est totalement ridicule. En quoi la discrimination, du latin "dis", préfixe négatif qui traduit l'idée de division, de séparation et de négation, et de "criminare", verbe qui signifie accuser, pourrait-elle être positive ? Et pourquoi pas un esclavage radieux, une invasion merveilleuse, une guerre somptueuse ? C'est absurde, grotesque et c'est une déformation qui révèle un vide idéologique sidéral. Nos amis les Grands Bretons ont coutume de dire form leads to meaning, la forme conduit au sens, mais, dans ce cas précis elle ne conduit nulle part, sinon à la manipulation et au mensonge. Du reste il n'est pas très étonnant que l'actuel président soit très ami avec Tony Blair, dont le vaste et fumeux programme, The Third Way, la troisième voie, n'a, à ce jour, toujours pas apporté la preuve tangible d'une existence éventuelle, entre capitalisme et communisme, alors que la politique qu'il a menée a souvent ressemblé à celle de Margaret Thatcher.
Mais Nicolas Sarkozy est allé un peu plus loin encore. Cette fois il a abandonné l'oxymore creux pour pencher du côté de la provocation outrancière, avec la laïcité positive. Caroline Fourest et Sylvain Bourmeau ont judicieusement rappelé ce qu'est la laïcité, à savoir le respect, dans la liberté, l'égalité et la fraternité républicaines de toutes les croyances et de tous les choix individuels, religieux et philosophiques, sans qu'aucun ne devienne jamais une vérité imposée aux autres. Voilà ce qu'est la laïcité. Ce n'est pas un choix religieux supplémentaire, comme le suggère insidieusement le président de la République. Le pré-supposé de cette lamentable association, laïcité positive, conduirait à penser qu'elle est donc négative, alors que c'est le garant de toutes les libertés.
Avec un tel choix linguistique, Nicolas Sarkozy joue à l'apprenti-sorcier. Du reste la parole a été aussitôt libérée chez les dogmatiques. Vendredi 12 septembre, dans le cadre de l'émission d'Yves Calvi, C'est dans l'air, sur France 5, et en réponse à une définition de la laïcité donnée par Christophe Barbier, rédacteur-en-chef de L'Express, et conforme à celle que j'ai énoncée plus haut, le directeur de la rédaction du journal La Croix a réagi vivement en affirmant qu'une telle définition était une forme d'exclusion. Bas les masques, donc ! Tolérer toutes les vérités dans la sphère privée mais refuser qu'une seule soit imposée à tous, c'est, pour ce journaliste catholique, de l'exclusion !
Comment accepter un tel détournement ? Comment accepter ce totalitarisme qui consiste à nier la tolérance pour mieux faire le lit de l'intolérance ? On prête à Voltaire cette phrase : je ne suis pas d'accord avec ce que vous affirmez, mais je me battrai pour que vous puissiez le dire. Les néo-dogmatiques ont une autre version : je ne suis pas d'accord avec ce que vous dites, mais je me battrai pour que vous ne puissiez plus le dire.
En conclusion, je vous invite à écouter cette définition de la France, chantée par le même Jean Ferrat, en 1969, et à laquelle je m'identifie volontiers.