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Le premier ministre britannique, David Cameron, a, de toute évidence, tenté de profiter de l’embellie médiatique engendrée par les Jeux Olympiques, pour lancer, lundi 3 septembre, avant la clôture des Jeux Paralympiques, un remaniement ministériel, le premier d'envergure depuis l’arrivée de la coalition Tory/Lib-Dems au pouvoir, en mai 2010. Peine perdue. Le moins que l’on puisse dire, plus d’une semaine plus tard, est que l’on est très loin du succès escompté. Pire même, trois traits majeurs caractérisent ce reshuffle : attentisme, virage à droite et enterrement de première classe pour les libéraux-démocrates et, surtout, de leur chef de file, Nick Clegg, qui, conformément à cette photo de « une » du Guardian, devient flou, avant, vraisemblablement, de disparaître totalement du paysage politique britannique.
Finalement, pour Cameron, il est urgent d’attendre. Pourtant le premier ministre conservateur avait prévenu, on allait voir ce qu’on allait voir. Le samedi 1er septembre, en sortant du 10 Downing Street, le leader conservateur avait lancé cette mâle et présomptueuse déclaration en promettant to cut through the dither, littéralement d’en finir avec les tergiversations, et en annonçant que le remaniement enverrait a thunderclap of authority echoing across the land, ce qui signifie un coup de tonnerre d’autorité dont l’écho allait se propager à travers tout le pays. D’un strict point de vue sémantique cette expression est digne d’intérêt, mais le remaniement lui-même en a considérablement atténué la portée. Car, en vérité, Cameron a gardé ou promu tous les ditherers, les tergiverseurs donc en quelque sorte pour donner dans le néologisme, parmi lesquels le chancelier de l’échiquier, John Osborne, incidemment hué lors de son apparition à la tribune officielle lors des Jeux Olympiques. Ce qui a conduit tous les observateurs à conclure qu’il y aurait sans doute une sixième ou une septième tentative pour forcer, en vain bien sûr, les banques à prêter de l’argent aux entreprises, ainsi qu’un troisième ou quatrième essai pour changer les lois-programmes. En revanche les quelques ministres qui ont montré de la personnalité et quelques intentions d’action, même maladroites ou franchement impopulaires comme ce fut le cas d’Andrew Lansley au ministère de la santé, se sont retrouvés au placard. Ainsi, Kenneth Clarke, personnalité respectée chez les Tories et au ministère de la justice, dont il a essayé de réformer le fonctionnement, se retrouve ministre sans portefeuille. Justine Greening, un des nouveaux visages conservateurs, quitte le ministère des transports, où son travail avait été sinon salué tout au moins respecté, bien qu’elle fut la huitième titulaire du poste en dix ans, atterrit dans une coquille totalement vide, le ministère du développement international. La seconde caractéristique majeure est que Cameron a donné un coup de barre à droite.
Les dinosaures conservateurs sont toujours là : Theresa May au Home Office, le ministère de l’intérieur, où elle a survécu sans état d’âme aux violentes émeutes de l’été 2011, pendant lesquelles sa présumée compétence n’a pas paru éclatante ; et Michael Gove au ministère de l’éducation où il a endossé sans broncher les scandaleuses et faramineuses augmentations des frais d’inscription à l’université. On se souvient aussi de son obséquieuse proposition de collecte publique pour offrir un nouveau yacht à sa gracieuse majesté. Il faut ajouter à cette triste liste Jeremy Hunt, promu au ministère de la santé, alors qu’il a joué un rôle des plus troubles dans les tentatives du groupe du très controversé Rupert Murdoch, News Corporation, de s’emparer de la chaîne par satellite BSkyB. Cameron a fait un remaniement à son image, parce qu’il est lui-même un ditherer, qui a échoué sur la réforme des banques, sur la réforme pénale et sur la décentralisation. C’est la consécration de la nimby politics. Nimby est l’acronyme (sigle qui fait linguistiquement sens) de Not In My BackYard, ce qui signifie pas dans mon jardin (le jardin qui est derrière la maison au Royaume-Uni), en d’autres termes, pas chez moi. Donc, la nouvelle équipe de Cameron est composée de ministres qui ne décident rien et qui font tout ce qui est en leur pouvoir pour ne pas être importunés par de potentielles décisions pénibles, à remettre donc dans someone else’s backyard. La véritable association ce n’est plus Cameron-Clegg, c’est désormais Cameron-Osborne. Ils sont du même avis, mais ne font rien, dans une équipe où personne ne leur fera de l’ombre. Les commentateurs politiques de tout bord font judicieusement remarquer que Blair et Brown, autrefois, avaient aussi une conception commune jusqu’à la déchirure que l’on sait. Inéluctable, sans doute, et ce n’est pas Nick Clegg qui empêchera quoi que ce soit, puisqu’il est politiquement mort, dans son rôle vide de vice-premier ministre.
Nick Clegg avait volé la vedette à Brown et Cameron, lors des débats télévisés de la campagne électorale de mai 2010. Il avait mis en avant des idées généreuses sur l’environnement, l’éducation et même l’Europe. Peut-être s’était-il rêvé en Lloyd George, il va finir plus bas que Jeremy Thorpe. Même à l’intérieur du parti Libéral-Démocrate il est détesté à un tel point que les quelques parlementaires Lib-Dems ont mené une fronde à la fin du mois d’août pour se débarrasser de Clegg et Paddy Ahsdown, ex-leader libéral respecté, a dû user de son image pour mettre un terme à la tentative de putsch. Sans conviction sans doute, parce que la preuve est faite que la troisième voie n’existe pas, pas plus que lors du premier mandat de Blair, lorsque, sur les conseils du professeur d’université Anthony Giddens, il avait tenté de lancer cette nébuleuse aussi creuse que le New Labour . Les prochaines élections législatives auront lieu au plus tard en 2015, très certainement avant, mais il est fort probable que ni Nick Clegg ni les Lib-Dems non seulement ne pourront pas y jouer un rôle, mais simplement ne pas survivre politiquement non plus.