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Billet de blog 14 mars 2014

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Tony Benn (1925-2014) : aristocrate, travailliste et rebelle

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Anthony Wedgwood Benn, 2ème vicomte de Stansgate, héritier de la célèbre entreprise de céramique, fils de William Wedgwood Benn, député libéral qui adhéra au parti travailliste, en 1928, et occupa plusieurs postes ministériels, et de Margaret Wedgwood Benn, éminente féministe, spécialiste de théologie et petite-fille de Catherine Benn, épouse de Charles Darwin, n’était pas à proprement parler issu du peuple. Néanmoins le peuple, les démunis et les défavorisés furent la préoccupation majeure de sa vie politique, qui commença avec éclat en 1950.

Après avoir été pilote de la RAF pendant la seconde guerre mondiale, Anthony Wedgwood Benn fut étudiant de philosophie, politique et économie à Oxford, puis brièvement producteur à la BBC après guerre, et enfin fut élu sous l’étiquette travailliste, le 4 décembre 1950, à 25 ans, plus jeune député de la chambre, lors d’une élection partielle dans la circonscription de South East Bristol. Il adopta une ligne modérée et ne fut jamais associé à l’aile gauche travailliste de l’époque, incarnée par Aneurin Bevan. Cependant son parcours politique, à partir de cette première élection, a toujours été l’objet  d’appréciations très tranchées et de vives controverses. Le journaliste britannique Bernard Levin le surnomma Mr. Zig-Zag Loon, en d’autres termes ‘le dingue qui fait des zigs-zags’. Harold Wilson dira de lui, dans les années 1960, he immatured with age, littéralement il prit de l’immaturité avec l’âge. Pour la presse conservatrice il était the most dangerous man in Britain.

Ces petites phrases catégoriques et peu aimables avaient le don d’agacer ses partisans qui, au contraire, voyaient en lui le garant et le gardien de l’orthodoxie travailliste, visionnaire de ce qui était bon et utile pour le Royaume-Uni. Néanmoins, les difficultés rencontrées, dans les années 1970, par les gouvernements, conservateur de Ted Heath, puis travailliste de Jim Callaghan, affaiblirent considérablement les idées de Tony Benn sur la crise du capitalisme britannique, situation qui fit le lit de la nouvelle droite et de la tristement célèbre Margaret Thatcher. Aujourd’hui encore, quelques britanniques irréductibles, y compris au sein du Labour, pensent que la victoire des idées et préconisations de Benn aurait été tout aussi néfaste que le passage du rhinocéros au pouvoir.

Tout au long des années 1950, Anthony Wedgwood plaida pour la modernisation du parti travailliste, la lutte contre l’apartheid et la décolonisation. En 1955 il favorisa l’émergence d’Harold Wilson aux dépens de Hugh Gaitskell, qui souhaitait la révision de l’historique Clause IV * de la charte du parti travailliste. A la mort de son père, en 1960, Anthony Wedgwood Benn devint, de fait, le 2ème vicomte de Stansgate, ce qui lui donnait la possibilité de siéger à la chambre des Lords mais lui interdisait de garder son siège à la chambre des Communes. Anthony Wedgwood Benn refusa la pérennité du titre et, après une bataille de trois ans, abandonna son peerage pour ne garder que son siège de député, ceci avec le soutien du gouvernement conservateur mais sans celui du leader travailliste Hugh Gaitskell, qui avait la rancune tenace. Il n’était donc plus officiellement que Anthony Wedgwood Benn, qu’il abrégea, en 1973, en Tony Benn. Il retrouva son siège de South East Bristol, à la faveur d’une partielle, en 1963, année de la mort de Gaitskell.

Son sens de l’action radicale ne s’était pas éteint pour autant et il reprit son combat contre ce qui était appelé alors the H-bomb, ainsi que contre toute guerre, puisqu’il déclara all war represents a failure of diplomacy, toute guerre représente un échec de la diplomatie. En 1964, Wilson le nomma Postmaster general, titre qui était l’ancêtre de celui de ministre des postes et télécommunications. Son anticonformisme émergea aussitôt puisqu’il proposa des timbres sans l’effigie de la reine, ce que Downing Street refusa. De 1966 à 1970 il fut ministre de la technologie et un ardent défenseur de Concorde, ce qui lui fut reproché par ses détracteurs qui y voyaient du clientélisme électoral, puisque les ateliers de fabrication partielle du supersonique furent installés dans sa circonscription. Sa devise était : We are not just here to manage capitalism but to change society and to define its finer values, Nous ne sommes pas ici simplement pour gérer le capitalisme mais pour changer la société et définir ses plus belles valeurs. La défaite travailliste de 1970 ne le plongea pas dans un immense chagrin, car il reprit aussitôt le flambeau du militantisme aux côtés de l’aile gauche trotszkyste du parti, et, également avec les amis de Michael Foot, dont il soutint la candidature à la tête du Labour en 1976.

Il avait combattu les idées de Margaret Thatcher et il mit la même énergie à combattre celles de Tony Blair. Il participa à toutes les manifestations londoniennes contre la guerre en Irak. Il abandonna son siège de député de South East Bristol en 2001 et se retira de la vie politique, en déclarant, avec son humour décapant habituel, to devote more time to politics, pour consacrer plus de temps à la politique…Son ami Michael Foot lui avait rendu un hommage sincère et vibrant, dans les années 1970 : No one in Labour party history applied his mind and energies more assiduously to the work of the [National] Executive.Personne n’a jamais, dans l’histoire du parti travailliste, mis son esprit et son énergie avec autant d’assiduité au service du travail de la commission exécutive nationale.

Brillant orateur, doté d’un grand esprit de synthèse, capable aussi de gestes chevaleresques et romantiques, Tony Benn avait fait poser, en 1998 au Parlement, une plaque à la mémoire d’Emily Davison, pionnière de l’égalité, qui a été l’objet d’un article sur ce même blog. Il avait également acheté le banc de Worcester College à Oxford, où, en 1949, il avait demandé en mariage une étudiante américaine, Caroline Middleton DeCamp (disparue en 2000) et avait installé le banc dans le jardin de leur maison de Holland Park à Londres. Tony Benn prenait beaucoup de notes, écrivait beaucoup —  le dernier tome de ses mémoires est paru en octobre 2013 —  il était très cultivé et avait un humour apprécié non seulement de ses amis, mais aussi de ses adversaires politiques. Lire ici l’hommage du Guardian, de la BBC, du Telegraph, de l’Independent, du Times, de ses amis du Socialist Worker et du NYT.

* Clause IV, adoptée en 1918 : To secure for the workers by hand or by brain the full fruits of their industry and the most equitable distribution thereof that may be possible upon the basis of the common ownership of the means of production, distribution and exchange, and the best obtainable system of popular administration and control of each industry or service.

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