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Billet de blog 14 mai 2008

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Les talibans et Sarkozy sont dans un bateau

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Des rebelles talibans, dont le visage était masqué, ont fait irruption dans plusieurs mosquées de la province de Logar, située à l'est de l'Afghanistan et au sud-est de Kaboul. Ils ont menacé les habitants présents de violences s'ils continuaient à regarder la télévision qui propage une culture anti-islamique et anti-afghane. Cette information est rapportée par l'agence de presse Reuters et reprise par la Washington Post du 13 mai (http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2008/05/13/AR2008051300487.html).

Le ministre de l'information afghan, Najib Manelai, a affirmé que le pouvoir a réagi en envoyant des forces de sécurité dans cette province très montagneuse et isolée. Cette action violente fait suite à une série de protestations insistantes et véhémentes de groupes religieux contre la diffusion de feuilletons télévisés indiens. Rappelons que, lorsque les talibans étaient au pouvoir en Afghanistan, ils ont notamment interdit, de 1996 à 2001, dans ce qui ressemble à un inventaire à la Prévert, la télévision, la radio, la mini jupe et les instruments de musique. Parmi les formulations récentes figurent l'interdiction de scolariser les petites filles et d'utiliser un téléphone portable.

Plus près de nous, l'IHT, International Herald Tribune , en date du 12 mai, s'est ému de la diatribe lancée par le président de la République française contre plusieurs médias, dont l'Agence France-Presse, L'Express, le JDD, Marianne et Le Parisien. (http://www.iht.com/articles/2008/05/12/europe/afp.php)

Sarkozy accuse notamment l'AFP de "censure", accusation que la rédaction de l'IHT a trouvée tellement cocasse qu'elle a neutralisé le mot avec de savoureux guillemets. Le même journal se fait un plaisir de rappeler que la liberté de la presse est décidément en France "an uneasy subject", un sujet embarrassant, puisque la dépendance économique entre presse et pouvoir est trop forte pour maintenir une réelle indépendance. Voilà, de la part du quotidien américain expatrié, un argument qui ne peut qu'enchanter celles et ceux qui ont déjà rejoint Mediapart. Argument qui nous ramène à l'incroyable audace verbale de celui qui a été élu l'an dernier – faudra-t-il, un jour, parler de "liquider mai 2007" ? Car il s'agit là d'un ex-candidat – en fait candidat permanent – qui, par le biais de ses réseaux de complicités, d'amitiés et de dévouements serviles, a complètement confisqué la campagne présidentielle, à son seul profit, ainsi que le débat démocratique, qui a banalisé le tutoiement condescendant et faussement complice, et qui, désormais accuse une agence de presse, connue dans le monde entier pour son sérieux et sa fiabilité, de ce qu'il pratique lui-même, la censure. L'ancien directeur de Paris-Match, Alain Genestar, pourrait le confirmer. Comment prendre au sérieux de tels propos et celui qui les lance ? Pas davantage considérerait-on une campagne de moralisation du football lancée par Bernard Tapie. Tout ceci est donc talibanesque, dans la forme comme dans le fond. Même si ce parallèle paraît osé aux âmes sensibles, nous avons d'une part un groupe qui incarne la dystopie à l'état brut, qui décide de ce que doit être la vérité et qui l'impose, ou tout au moins tente de le faire, par la force ; d'autre part un individu qui est convaincu de détenir la vérité et qui veut lui donner corps, contre vents et marées. Pierre Bourdieu, dans son remarquable ouvrage Ce que parler veut dire, publié en 1982, évoque "l'alchimie de la représentation" (p.101) et constate que "le porte-parole doté du plein pouvoir de parler et d'agir au nom du groupe, et d'abord sur le groupe par la magie du mot d'ordre, est le substitut du groupe qui existe seulement par cette procuration". Certes les uns prônent la force, l'autre a été élu démocratiquement, mais ils se confondent et se rejoignent dans la conclusion de Bourdieu, "le monde est ma représentation". Et de toute évidence, il ne saurait y en avoir d'autres.

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