Les émeutes et des rivalités ethniques qui ont secoué le Kenya en décembre 2007 ne font plus la "une". Mais depuis février 2008, c'est une image différente et apparemment plus calme qui parvient de l'ancienne colonie britannique. C'est celle d'une vieille dame de 86 ans, qui habite Kogelo, un petit village situé à l'ouest du Kenya, à proximité du Lac Victoria et qui est devenue soudain un centre d'intérêt médiatique, depuis les début des primaires américaines dans le camp démocrate, tout simplement parce qu'elle est la grand-mère paternelle de Barack Obama.
C'est tout d'abord le quotidien américain The New York Times qui a envoyé un de ses journalistes, Nicholas Kristof, lequel a publié un article, dans l'édition du 24 février. Il est allé à la rencontre de Mama Sarah, qui l'a accueilli chaleureusement, assise pieds nus devant sa petite maison de brique, faite de trois pièces, dont le toit est en tôle ondulée et qui n'a ni eau courante ni électricité. Mama Sarah est analphabète et elle ne sait pas très bien quand elle est née ce qui jette un doute sur son âge exact. Elle est joyeuse et fait figure de privilégiée puisqu'elle a un toit métallique, ce qui les distingue des autres habitants du village qui habitent soit des huttes, soit des maisons en toit de chaume. De plus, elle a une pompe à eau dans le jardin et son toit est équipé de capteurs solaires qui alimentent son téléphone portable et la télévision qui lui a été offerte récemment par le reste de la famille pour qu'elle puisse suivre la campagne présidentielle américaine. Mais ce sont là les seuls signes extérieurs de petite richesse car la pauvreté domine dans cette partie du Kenya.
Ce que Nicholas Kristof sait des liens kenyans d'Obama, c'est ce que tout le monde sait désormais, et qu'il savait avant d'arriver à Kogelo. A savoir que Mama Sarah a élevé seule le père du candidat démocrate, Barack Hussein Obama, lequel, à force d'abnégation et d'opiniâtreté, a fini par être admis à l'université d'Hawaï pour y étudier l'économie. Là il y a fait la connaissance d'Ann Dunham, originaire du Kansas, avec qui il a conçu Barack Hussein Obama Junior, qu'il n'a pratiquement jamais connu, puisque, peu de temps après la naissance de son fils, il est retourné au Kenya. Le journaliste du NYT espérait approfondir tout cela par des anecdotes, mais il s'aperçoit, avec une grande amertume qu'il relate dans la vidéo que l'on peut regarder sur le même lien, que les visiteurs occidentaux sont des meal tickets, en d'autres termes des occasions inespérées de monnayer la popularité de Mama Sarah, pour lutter contre la pauvreté ambiante.
Le charme de l'accueil chaleureux est bientôt rompu. Kristoff prend conscience que Mama Sarah est encouragée, par téléphone portable interposé, à faire payer son interview, ce que le journaliste américain refuse catégoriquement. Il se consolera avec une visite sur la tombe d'Obama père, mort en 1982 dans un accident de voiture, et avec une incursion dans la Senator Obama Secondary School. Son aventure n'a pas découragé ses confrères puisque le 6 juin, c'est au tour de Xan Rice, journaliste au quotidien britannique The Guardian, de se rendre à Kogelo. Pas un mot sur les conditions d'obtention de l'entretien, on peut donc présupposer que Rice a payé, ce qui, pourtant, guère dans les habitudes de ce journal.
Il précise simplement que la maison de Mama Sarah a été facile à trouver, car la piste est balisée de drapeaux américains, la campagne pour l'investiture a fait la différence. L'entretien, auquel participe Auma, la demi-sœur du candidat démocrate, et Saïd son oncle, confirme que Barack Obama est déjà venu plusieurs fois, mais il existe une barrière linguistique infranchissable. Mama Sarah ne parle pas anglais, et Barack, le petit-fils, n'entend ni le swahili, ni le luo. Le plus intéressant de cette aimable rencontre est le souci exprimé par Auma. Elle craint que le passé du père ne soit exploité par la droite américaine. En effet Barack Hussein Obama Senior était polygame, et, bien que converti au catholicisme, issu d'une famille musulmane.
Ce que ces deux articles n'expriment pas clairement mais laissent deviner à mots couverts, de peur, sans doute, de raviver les querelles ethniques d'un pays qui se relève difficilement des affrontements récents, c'est que la branche Obama appartient à l'ethnie luo, alors que l'administration kenyane est plutôt kikuyu. Ce qui explique probablement pourquoi Barack père n'a jamais pu décrocher un poste dans l'administration d'état, alors qu'il était diplômé d'une université certes peu prestigieuse mais américaine néanmoins. Circonstance aggravante, devant l'immense popularité d'Obama pendant les primaires, les kikuyus exprimaient leur soutien à Hillary Clinton. L'histoire d'une courageuse et sympathique grand-mère ne fera pas disparaître les haines en cours.