Le candidat de la droite à la prochaine élection présidentielle l’a dit et redit, il faut parler avec tout le monde. Et cette généralisation inclut Vladimir Poutine, avec qui, selon la presse bien pensante et aux ordres (de la droite bien évidemment), François Fillon serait dans les meilleurs termes qui soient. Selon Le Point, Poutine et Fillon se tutoient, sans que l’on sache si c’est en français ou en russe, mais qu’importe ce détail linguistique puisque la presse aux ordres est si heureuse de souligner que son nouveau champion est adoubé par le néo-tsar. A l’occasion de la victoire de Fillon, lors du deuxième tour de la primaire de la droite et du centre, Poutine a même tressé des louanges à l’ex-premier ministre en parlant d’un « grand professionnel ».
Il s’agit d’une indéniable promotion sémantique par rapport au très condescendant « collaborateur » jeté dédaigneusement par le double de Paul Bismuth, mais que faut-il entendre par « grand professionnel » ? Poutine a-t-il voulu rendre hommage au parcours d’un individu qui n’a jamais travaillé (tout comme Manuel Valls), c’est-à-dire qui n’a jamais vécu d’un salaire payé par une entreprise publique ou privée, mais d’une indemnité d’assistant parlementaire puis de député, après avoir été suppléant, et enfin de ministre et de premier ministre ? Poutine a-t-il voulu dire que Fillon est un « grand professionnel » de la politique et de « l’assistanat » ? Auquel cas le projet de suppression de 500.000 emplois publics serait une forme d’expiation d’un passé coupable d’avoir toujours vécu des deniers publics, eux aussi. Par ailleurs, est-ce vraiment honorable et gratifiant d’être couvert d’éloges par un homme qui a confisqué la liberté et la démocratie dans son pays, qui a annexé la Crimée (une grande première européenne depuis Hitler), qui a généreusement participé au désordre qui règne en Ukraine et qui organise en Syrie le massacre de populations civiles tout en maintenant son boucher préféré au pouvoir ?
Peut-être est-il utile que François Fillon relise son histoire contemporaine, non pas son indéfinissable « récit national », mais simplement les faits qui marquent l’histoire du monde, et que, pour cela, il remonte à septembre 1938. C’est la période des historiquement lamentables et honteux accords de Munich, signés par le premier ministre britannique, Neville Chamberlain, le président du conseil, Edouard Daladier et le chancelier allemand Adolf Hitler. L’engagement mutuel était de travailler à préserver la paix, promesse hautement risible de la part des Nazis puisqu’elle intervenait six mois après l’Anschluss. D’ailleurs le jour où Chamberlain et Daladier ont quitté Munich ils ont appris par leurs services secrets respectifs que l’annexion de la Tchécoslovaquie (qui est intervenue le 25 septembre) était prête. Daladier, selon les historiens et ses biographes, était réticent et n’aurait signé que sous la pression des britanniques et des mouvements pacifistes. Le président du conseil ne nourrissait aucune illusion, car en voyant la foule en liesse venue l’accueillir à son retour au Bourget, il se serait écrié, selon le témoignage du poète Saint-John Perse, diplomate à l’époque et membre de la délégation française, « Ah les cons ! S’ils savaient ! ». Le premier ministre britannique n’a pas eu la même réaction et a poussé la duplicité beaucoup plus loin, comme en témoigne son discours de retour pour le moins hypocrite et grandiloquent à l’aéroport de Heston à l’ouest de Londres, anticipant ainsi le sens spécifique qui sera donné au vocable « collaborateur » pendant la seconde guerre mondiale.
We, the German Fuhrer and Chancellor, and the British Prime Minister, have had a further meeting today and are agreed in recognizing that the question of Anglo-German relations is of the first importance for our two countries and for Europe.
We regard the agreement signed last night and the Anglo-German Naval Agreement as symbolic of the desire of our two peoples never to go to war with one another again.
We are resolved that the method of consultation shall be the method adopted to deal with any other questions that may concern our two countries, and we are determined to continue our efforts to remove possible sources of difference, and thus to contribute to assure the peace of Europe.
My good friends, for the second time in our history, a British Prime Minister has returned from Germany bringing peace with honor. I believe it is "peace for our time." Go home and get a nice quiet sleep
Les termes de ce discours surréaliste (au milieu des hourras sidérants de la foule) procèdent d’une naïveté fillonesque et confondante :
« Le furher et chancelier allemand et moi-même, premier ministre britannique, nous avons eu un entretien supplémentaire aujourd’hui et nous sommes tombés d’accord pour reconnaître que la question des relations anglo-allemandes est primordiale pour nos deux pays et pour l’Europe.
Nous considérons l’accord signé hier soir et l’accord naval anglo-allemand comme symboliques du désir de nos deux peuples de ne plus jamais entrer en guerre.
Nous avons pris la décision que la consultation sera la méthode adoptée pour traiter n’importe quelle autre des questions qui puissent concerner nos deux pays, et nous sommes déterminés à poursuivre nos efforts pour faire disparaître d’éventuelles sources de différence, et ainsi de contribuer à assurer la paix de l’Europe.
Mes chers amis, pour la seconde fois de notre histoire, un premier ministre britannique revient d’Allemagne en rapportant la paix et l’honneur. Je crois que c’est « la paix pour notre époque » (expression utilisée par Benjamin Disraeli après la signature du traité de Berlin en juillet 1878). Rentrez chez vous et dormez paisiblement ».
Comme chacun sait, non seulement Hitler n’a jamais tenu les promesses énoncées à Munich mais deux semaines plus tard la Tchécoslovaquie était envahie, un an plus tard c’était le tour de la Pologne, et la Grande-Bretagne et la France entraient en guerre avec l’Allemagne nazie et les londoniens que le premier ministre invitait à rentrer chez eux n’ont plus jamais dormi paisiblement jusqu’en 1944. Donc le petit télégraphiste, Neville Chamberlain, si fier de brandir sa feuille des accords de Munich à Heston, est entré au panthéon des faibles, à genoux devant un dictateur et un tyran qui changé le visage du vingtième siècle. Du reste ce monument que fut par la suite Winston Churchill exécuta littéralement Neville Chamberlain, lors d’un discours à la chambre des communes le 5 octobre 1938, qui commença par les politesses d’usage pour s’achever avec, notamment, cette phrase prémonitoire, We are in the presence of a disaster of the first magnitude which has befallen Great Britain and France, Nous sommes en présence d’un séisme de la plus haute magnitude qui a frappé la Grande-Bretagne et la France.
De toute évidence, lorsque l’on entend la prudence rhétorique de François Fillon, on ne peut s’empêcher de penser que l’esprit de capitulation perdure et la descendance politique de Neville Chamberlain est assurée.