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Billet de blog 16 décembre 2012

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L'UMP ou les feux de l'envie

Shakespeare : Les feux de l’envie, c’est le titre de l’ouvrage magistral que René Girard, non pas l’entraîneur de l’équipe de football de Montpellier mais le célèbre philosophe avignonnais qui a fait toute sa carrière dans plusieurs universités américaines, a publié en 1990

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Shakespeare : Les feux de l’envie, c’est le titre de l’ouvrage magistral que René Girard, non pas l’entraîneur de l’équipe de football de Montpellier mais le célèbre philosophe avignonnais qui a fait toute sa carrière dans plusieurs universités américaines, a publié en 1990 et consacré à l’analyse de l’œuvre de Shakespeare à travers le prisme de ce qui constitue son credo philosophique et anthropologique, le désir mimétique, par lequel il explique toute activité sociale. Or la relecture de cet ouvrage atypique, qui ne fut pas nécessairement du goût, à l’époque, de tous les spécialistes de Shakespeare, prend une saveur nouvelle, aujourd’hui, avec la mise en abîme des évènements, ou présumés tels, qui ont secoué l’UMP et qui, de toute évidence, continuent de plus belle.

La définition que donne René Girard du désir mimétique, dans l’introduction de son ouvrage est tellement universelle et contemporaine, bien que rédigée il y a maintenant vingt-deux ans, qu’on la croirait une authentique anticipation des lamentables petits soubresauts de l’UMP, ou de ce qu’il en reste (1990 : p-9): « Quand on réfléchit aux phénomènes où l’imitation (ne perdons pas de vue qu’il s’agit pour les prétendants Fillon et Copé d’imiter le prétendu maître Sarkozy) risque de jouer un rôle, on songe aussitôt à l’habillement, aux manies, aux expressions du visage, à la façon de parler, au jeu d’un acteur de théâtre, à la création artistique, etc., mais jamais le désir n’est pris en compte. La conséquence est que l’imitation à l’œuvre dans la vie sociale paraît se réduire à la seule reproduction de masse d’un petit nombre de modèles, avec pour seul résultat le grégarisme et un conformisme insipide. »

Voilà qui est déjà fort éclairant, mais  il y a mieux encore sur la franche et mutuelle détestation entre Fillon et Copé (1990 : p-10): « Si l’imitation est également présente dans le désir, si elle contamine notre envie d’acquérir et de posséder, alors cette façon de voir, sans être toujours fausse, loin de là, n’en passe pas moins à côté de l’essentiel. L’imitation ne se contente pas de rapprocher les gens ; elle les sépare, et le paradoxe est qu’elle peut faire ceci et cela simultanément. Si puissant est ce qui unit des êtres éprouvant les mêmes désirs que leur amitié demeure indéfectible aussi longtemps qu’ils peuvent partager ce qu’ils désirent ensemble. Elle se mue, par contre, en haine inexpiable dès l’instant où cela ne leur est plus possible. »

Le plus convaincant intervient plus loin dans son ouvrage, lorsque le philosophe aborde une tragédie célèbre  Jules César. Comme il convient d’être clair et synthétique et que Noël approche, on conviendra que Sarkozy incarne César et que les doubles dont parle Girard sont Brutus-Copé et Caïus-Fillon. Là encore, l’analyse du philosophe transposée à la guerre de succession à l’UMP est troublante (1990 : p-231) : « Lorsque l’escalade de la rivalité mimétique franchit un certain seuil, les rivaux se lancent dans les conflits qui les indifférencient de plus en plus ; ils deviennent tous les doubles des uns des autres. Si nous connaissons déjà ce processus, nous ne savons pas tout des violentes conséquences qu’il entraîne. Au début, les doubles sont encore assortis deux par deux conformément à leur histoire mimétique commune ; ils se sont disputé les mêmes objets et, en ce sens, ils « s’appartiennent » bien l’un l’autre : les conflits demeurent « rationnels », dans la mesure du moins où chaque double est en droit de parler de « son » antagoniste, désignant par là celui qu’il tient pour responsable de tous ses maux. »

Nul ne sait, pour l’heure, si François Fillon et Jean-François Copé ont lu les tragédies shakespeariennes, et, en particulier, Jules César, mais, de toute évidence ils en assurent une interprétation tellement proche de la réalité qu’elle en est confondante. Dans l’œuvre passionnante de René Girard, un autre ouvrage a fait date, en 1961 Mensonge romantique et vérité romanesque, qui pourrait aussi faire l’objet d’une étude approfondie, avec deux exemples probants : un certain Lionel Jospin, en 2001 sur son passé troztzyste : « Ce n’est pas moi, c’est mon frère » ; et un dénommé Jérôme Cahuzac, en 2012 : « Je n’ai jamais eu de compte en Suisse »…

Shakespeare : les feux de l’envie, René Girard, 1990, Paris, Editions Grasset.

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